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LES ANGLAIS DANS L’HINDOUSTAN.

mane) de Sardanhah en a fait autant. Enfin un naouab, à Delhi, a été pendu parce que l’agent politique, M. Frazer, avait été tué en sortant de chez lui ; cependant il n’a jamais été prouvé que le malheureux prince fût complice de ce guet-apens, dont son durouan (portier) était l’auteur.

Mais détournons nos yeux de ce triste tableau et visitons les classes inférieures ; grace à l’obscurité de la naissance et à leur pauvreté même, elles auront sans doute échappé à l’oppression. À côté de ces bois de manguiers, dans un enclos séparé et un peu distant du village, quelles sont ces huttes en forme de ruches d’abeilles ? Sans les volailles et les couvertures de laines exposées au soleil, on les croirait désertes. Pas un homme, pas une femme, pas même un enfant ; c’est la demeure des choumars (corroyeurs). Un officier anglais vient de passer par le village ; il a fallu que ces pauvres gens lui fournissent les bêtes de somme nécessaires pour transporter ses nombreux bagages ; à force de coups et de menaces, les soldats les ont obligés à charrier les caisses de leur officier, en suivant à pied le pas des chevaux. Arrivés au prochain hameau, ils seront remplacés par leurs frères de caste (bhaï) ; ils ne recevront pour tout paiement que des injures et auront perdu la moitié d’une journée. Ces corvées sont des plus pénibles pour les castes sur lesquelles elles pèsent. Les malheureux qui composent ces castes se voient complètement assimilés aux bêtes de somme. Lorsque lady Macnaghten allait rejoindre son mari dans le Caboul, j’ai vu, entre Sirhind-Bassi et Loudiana[1], trois bigaris[2] traqués par les soldats comme des bêtes fauves. On finit par les contraindre à transporter les nombreux bagages de la caravane, quoiqu’elle comptât déjà plus de quarante chameaux chargés. Ils ne reçurent aucun paiement. Les domestiques des Européens ne manquent pas de suivre l’exemple de leurs maîtres, ils arrachent souvent un pauvre Hindou à ses travaux pour porter la valeur de dix livres pesant. À défaut d’hommes, on prend les femmes, et même celles qui ont des enfans à la mamelle.

Cette famille assise sur le bord de la route, à côté du cadavre d’un chameau, dévorant des lambeaux de chair crue et presque en état de putréfaction, ce sont des kanjars ; ils sont en horreur à la communauté des Hindous aussi bien qu’aux musulmans. Là où ceux-ci mourraient de faim, ils trouvent une nourriture abondante ;

  1. Villes appartenant au radja de Pattala, principauté sicke, en-deçà du Sutledge.
  2. Du mot anglais beggar, mendiant.