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CONVENTION ENTRE LA FRANCE ET LA BELGIQUE.

10 à 11 pour 100 sur ces fils garantissait suffisamment notre filature. Cet espoir ne s’est pas réalisé. En moins d’un an, la concurrence anglaise a pris des proportions de plus en plus formidables. Les progrès constans du filage à la mécanique ont amené chez nos voisins une nouvelle baisse de prix tout-à-fait extraordinaire. L’emploi de procédés perfectionnés leur a permis d’employer pour la confection de leurs fils des matières textiles de basse qualité tirées de l’Inde et de l’Océanie. Il en est résulté un fil de qualité inférieure, mais à si bas prix que toute rivalité de notre part était devenue impossible. Nous avions quelques filatures naissantes, la plupart d’entre elles ont été forcées de s’arrêter. De leur côté, les Anglais, voyant s’ouvrir un débouché nouveau, se sont empressés de s’y jeter avec leur ardeur ordinaire. Un véritable torrent d’importation s’est déclaré ; les fils anglais se sont précipités sur notre marché en si grande abondance, qu’il y a eu encombrement et par suite une baisse encore plus marquée dans les prix. Au commencement de juin, comme l’a dit dans son rapport au roi M. le ministre du commerce, les arrivages dépassaient dans une grande proportion toutes les prévisions comme tous les besoins.

Les plaintes se sont élevées alors de toutes parts. De toutes parts, on a demandé, au nom de notre industrie linière, une nouvelle protection.

Cependant le gouvernement hésitait, et il avait raison. C’est toujours une mauvaise mesure, au point de vue de l’économie politique, qu’une augmentation de tarifs. On habitue par là l’industrie nationale à plus compter sur le gouvernement que sur elle-même ; on la maintient dans la routine, qui est son plus grand mal. Pourquoi l’industrie française ne s’efforçait-elle pas de lutter contre sa rivale ? Pourquoi se refusait-elle à adopter les mêmes moyens ? Les consommateurs y auraient gagné considérablement, car il y aurait eu une grande réduction sur le prix des toiles. Cette réduction aurait eu la conséquence ordinaire de toutes les baisses de prix, elle aurait amené une augmentation dans la consommation ; cette augmentation aurait à son tour créé de nouveaux débouchés et permis aux deux industries d’exploiter simultanément le marché français sans se nuire. Augmenter le droit d’entrée sur un produit étranger pour rétablir la balance entre son prix et le prix du produit national analogue, c’est priver le consommateur du bénéfice de cette différence de prix, c’est le forcer à payer plus cher ce qu’il pourrait avoir à meilleur marché, c’est faire les affaires de quelques-uns aux dépens de tous.

Une industrie nationale importante, l’industrie des tissages, gagnait d’ailleurs à la baisse du prix des fils. Ce n’était pas la toile que l’Angleterre jetait par masse sur notre territoire, c’était le fil ; ce fil était transformé en toile dans nos ateliers. Le travail national s’enrichissait donc de ces nouvelles quantités de tissage qui devaient nécessairement s’accroître de jour en jour à mesure que la baisse des prix amènerait de nouveaux progrès, soit dans la consommation intérieure, soit même dans l’exportation. Il faudrait bien qu’un jour ou l’autre les fils français finissent par se produire au même prix que les fils anglais. Aucune difficulté essentielle ne s’y opposait. Après une crise passa-