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tières qu’elle a traitées ; malheureusement ce second mérite était de nature à profiter beaucoup plus à sa personne qu’à ses poésies. C’est un grand mystère que l’existence ; il y a des œuvres d’art qui ont des proportions régulières, des contours agréables à l’œil et qui cependant ne nous touchent pas, c’est qu’il leur manque la vie ; d’autres sont mal taillées, mal venues, affreuses à voir, mais elles émeuvent, parce qu’on sent en elles un souffle qui les anime. Entre ces deux espèces d’œuvres, il y a la différence qui existe entre un visage de plâtre et une face humaine. Si horrible que soit la face humaine, il y a en elle quelque chose de divin qui la met au-dessus du visage de plâtre. C’est ce quelque chose qui manque aux pièces de Mme Tastu ; la plupart d’entre elles ne vivent pas. Nous avons d’elle trois volumes. Le premier se compose de chroniques sur l’histoire de France ; les deux autres renferment des poésies détachées. Est-il besoin de parler des Chroniques ? Traduire dans le langage des vers, c’est-à-dire graver pour l’immortalité, sur le plus noble monument qu’il soit donné à l’homme d’élever, les faits les plus dramatiques de notre histoire, c’est une entreprise qu’un génie comme celui de Dante eût été peut-être impuissant à accomplir. Je ne sais qui a pu engager Mme Tastu à la tenter ; mais, d’après la façon dont elle-même s’est quelquefois jugée dans ses vers, j’imagine que c’est plutôt la modestie que l’orgueil. Elle a sans doute pensé que la nature de son talent la mettrait à l’abri du reproche d’avoir voulu donner à la France une épopée nationale, ce n’est point nous qui la tromperons dans cette légitime espérance. Silence donc pour ses Chroniques. Quant à ses recueils, parmi tous les vers qu’ils renferment, il en est deux qui m’ont touché, tellement touché, qu’au risque de m’égarer un peu, je voudrais courir un instant vers l’horizon qu’ils me découvrent. Ces deux vers sont dans une ode à M. de Châteaubriand. Après avoir parlé de l’auréole dont notre jeunesse entoure le front des grands hommes, et de la façon dont cette auréole se dissipe avec les nobles illusions qui nous la faisaient entrevoir, elle s’écrie :

Hélas ! à chaque pas nous sentons sur la route
De nos jeunes respects le cœur se délier…

Je ne sais rien d’une vérité plus mélancolique et plus émouvante que cette réflexion. Si je disais toutes les idées qu’elle fait naître en mon esprit, tous les souvenirs qu’elle me rappelle je pourrais écrire un chapitre entier de la vie littéraire dans tous les temps ; aussi ne l’essaierai-je pas, mais je veux pourtant dire quelques mots des choses