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corps lumineux qui vient on ne sait d’où. Un jour qu’il fêtait ici l’anniversaire de sa naissance, je pensai à part moi : Rollwenzel, il convient que toi aussi tu apportes ton hommage à M. le conseiller ; et je fis écrire mon compliment sur une belle page. En se mettant à table, le conseiller trouva sous sa serviette toute sorte de félicitations et de vers imprimés ou manuscrits ; il commença à les feuilleter, mais, lorsqu’il arriva à ma pièce, un rayon de joie éclaira son visage, les larmes lui vinrent aux yeux, et, me tendant la main, il s’écria : C’est de ma bonne Rollwenzel. Digne homme ! une fleur suffisait pour le rendre heureux, une fleur, un petit oiseau ; chaque fois qu’il venait, je couvrais sa table de fleurs, et tous les matins j’attachais un bouquet à sa boutonnière. Un soir, il s’en alla et ne revint plus. J’allai le voir à la ville quinze jours avant sa mort ; il me fit asseoir auprès de lui et me demanda comment je me trouvais. — Mal, lui répondis-je, monsieur le conseiller, jusqu’à ce que vous reveniez me voir. — Mais je savais bien déjà qu’il ne reviendrait plus, et lorsque j’appris que ses oiseaux qu’il élevait dans la volière avec tant de soins étaient tous morts en deux nuits l’un après l’autre, je pensai qu’il mourrait bientôt, lui aussi. Seigneur Dieu ! vous l’avez maintenant dans votre sein ; mais quelles magnifiques funérailles ils lui ont faites ! on n’eût pas traité un margrave avec plus de pompe ; c’était un concours d’étudians et de professeurs, une file de voitures dont on n’a pas d’idée. J’avais précédé le convoi au cimetière, et, comme j’étais seule encore sur le bord de cette fosse ouverte et prête à le recevoir, je pensai en moi-même : Est-ce bien toi, Jean-Paul, qui vas descendre là ? Non, m’écriai-je presque aussitôt, ce n’est pas lui, c’est impossible ! Lorsque le cercueil fut déposé devant moi, la même idée me vint, et, je me fis la même réponse. — On prononça de beaux discours, pendant lesquels j’étais assise tout auprès de la sépulture, car on m’avait réservé une place comme si j’eusse appartenu à la famille, et, lorsque tout fut terminé, ses neveux, ses amis et toute sorte de grands personnages s’approchèrent de moi pour me serrer la main. » À ces mots, la pauvre vieille s’arrêta, les sanglots étouffaient sa voix. Que sont toutes les apologies qu’on peut faire d’un noble cœur auprès de ce culte fidèle, de cette religion de l’ame que le temps n’ébranle pas ? Digne et excellente femme ! tandis que sa douleur la tient absorbée, repassons, nous aussi, dans notre mémoire les derniers jours de la vie de l’illustre écrivain de Baireuth, et voyons se consommer cette fin paisible et résignée d’une si honnête et si laborieuse existence.