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LES FEMMES POÈTES.

Ah ! que chez le colonel Stoup
La débauche est charmante, etc.

qui paraîtrait délicieuse si elle avait été écrite par Voiture ou par Benserade, et qui nous déplaît parce que nous ne pouvons pas nous empêcher de songer qu’elle est l’œuvre d’un poète en vertugadin. Quand ils sont prestes et hardis, les vers de Mme de Girardin produisent sur moi le même effet que cette chanson de Mme Deshoulières. Je crois voir une femme qui me sourit en mettant un chapeau d’homme sur sa tête. Or, je ne sais rien de plus laid, quoique cela se voie tous les jours, qu’un chapeau d’homme sur une tête de femme.

Mme de Girardin connut M. de Lamartine plus tôt que Mme Tastu et Mme Desbordes-Valmore ; mais, avant de voir les anges dans ses rêves comme nos muses modernes, elle y vit, comme les muses de l’empire et des premières années de la restauration, les colonels de hussards et de lamiers. Voici deux de ses vers qui me reviennent :

L’amour fait chérir la victoire,
Et l’amour le rendra vainqueur.

Il n’est point de région que Mme de Girardin n’ait abordée dans le domaine de la poésie ; elle a fait des contes, des odes, des élégies, des poèmes épiques et des romances. Anciennement les romances jouaient dans la vie amoureuse un rôle qu’elles ne remplissent plus maintenant ; on attachait aux paroles une importance qu’elles ont perdue. Les romances de Mme de Girardin m’ont amusé, parce que je me suis plu à construire sur chacune d’elles, moitié riant, moitié rêvant, une de ces histoires sentimentales dont tout le monde, j’en suis sûr, a les élémens dans ses souvenirs. Il suffit d’avoir passé quelques mois de sa jeunesse en province pour retrouver dans sa mémoire la voix d’un vieux piano et celle d’une jeune femme qui prêtait pour vos oreilles et pour votre cœur une douceur infinie à quelque refrain comme : Il m’aime, ou L’ingrat m’oublie, Je t’aimerai, ou Ne m’aime pas. Après quelques paroles de romance, il n’y a dans les œuvres de Mme de Girardin qu’un seul mot qui m’ait fait agréablement rêver, c’est le titre de l’un de ses poèmes : Madeleine. Quel magnifique sujet à traiter, pour un véritable artiste, que la vie de la pécheresse de Judée ! Dans le coin d’un tableau de Paul Véronèse, celui qui représente la scène du vase d’encens qu’on brise aux pieds du Christ, il y a une femme à la taille cambrée et aux épaules d’une chaude couleur, qui mêle aux pensées mystiques dont notre ame est pleine une pensée de volupté. Dans un poème sur Madeleine, il y avait un effet de la même nature