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LA DIVINE COMÉDIE AVANT DANTE.

teur qui mord l’épaule de Diogène pour entrer en paradis, voilà tout ce que sait trouver l’imagination abâtardie du Byzantin. Le tribunal de l’éternité n’est plus chez lui qu’une méchante échoppe où plaident des avocats bavards ; ce ne sont que rivalités de pédans ou ergoteries de théologiens, en un mot Constantinople au XIIe siècle.

Ne rions pas trop de ce manque d’art, de cette grossièreté du moyen-âge ; il en reste des traces dans l’œuvre même du maître, et le lecteur de Dante s’aperçoit trop souvent qu’il n’assiste qu’au rêve d’un homme. Çà et là les petites haines du gibelin, les intérêts de faction ou de caste font irruption tout à coup au milieu des intérêts éternels. Il y a, par exemple, un endroit du Paradis qui m’a toujours choqué : on est au milieu des sphères, tout semble s’abîmer dans l’infini, et le poète montre à peine visible à l’horizon des espaces la planète obscure où végète l’homme ; mais voilà que subitement la terre se rapproche comme par un coup de théâtre, au point qu’on la touche pour ainsi dire et qu’on reconnaît les rues de Florence. L’illusion, qui a des ailes, disparaît aussitôt, et il me semble que j’ai entrevu les ficelles du machiniste. Toutefois le génie d’Alighieri a en soi quelque chose de si despotique, qu’on retombe vite sous le joug ; il ne vous lâche que pour vous ressaisir.

On le sait, il est douteux que Dante eût lu directement Homère ; en revanche, les platitudes byzantines de Timarion parvinrent-elles jusqu’à lui ? Ce serait un grand hasard, et il est presque permis d’affirmer le contraire, Je tenais néanmoins, en poursuivant ainsi jusque dans la Grèce mourante cette inspiration commune et générale des visions sur l’autre monde, je tenais à montrer, par un exemple d’autant plus frappant qu’il est plus détourné, quel est au fond le caractère humain de l’œuvre du poète. Dante avait pour lui l’initiative des peuples, qui, par tant d’ébauches successives, préparèrent cette épopée à laquelle il devait donner son nom. Si on voulait même sortir de ce vieux monde païen, devenu, au moyen-âge, le centre et comme le domaine immédiat du catholicisme, on pourrait demander à la poésie scandinave et à la littérature orientale quels sont les monumens analogues qu’elles présentent à la critique. On a rapproché quelques traits de l’Edda de certains passages de la Divine Comédie ; je pouvais en faire autant pour le voyage de Tadjkita vers le roi de la mort dans le Mahabarata, enfin pour tous ces codes des religions de l’Inde, pour toutes ces épopées sanscrites dont les poètes semblaient faire de gigantesques sépultures à leur pensée. Sans même s’égarer si loin, il y aurait à rechercher si l’influence arabe, manifeste à la cour lettrée de Sicile, et qui par là avait pu remonter en Toscane, n’a pas fait pénétrer chez Dante quelques-unes des images du Koran. Mais, je le demande, ne serait-ce pas élargir inutilement, indiscrètement le cercle de l’inspiration dantesque ? ne serait-ce pas se montrer infidèle au caractère

    M. Hase a donné l’analyse de la première à la suite de celle de Timarion ; M. Boissonade a inséré le texte de la seconde, intitulée Descente de Mazari aux enfers, dans ses Anecdota Græca.