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glots et en imprécations jalouses ; puis, en songeant à ce que l’infortunée avait dû souffrir pour en venir à cette extrémité, sa colère s’abattit une fois encore en une pluie de larmes, et il lui pardonna dans son cœur. Mais à l’autre il ne pardonnait pas, et sa haine se nourrissait du sang de son amour. Plus désintéressé, ainsi que nous le disions tout à l’heure, avec quelque intelligence des choses de la passion, peut-être ce jeune homme eût-il enveloppé ces deux destinées dans un même sentiment attendri ; mais Richard était loin des conditions essentielles à l’indulgence. Il ignorait à quels chocs imprévus, à quels principes dissolvans, à quelles lois inévitables est soumise l’union des ames ; il avait toute la foi, toute la candeur, toutes les naïves indignations de son âge ; et quand même Mme de Beaumeillant n’eût été pour lui qu’une étrangère, il n’en aurait pas moins senti son sang révolté se soulever contre cet homme. Tout l’excitait, tout l’armait contre lui. Il n’était pas une de ces lettres où Mme de Beaumeillant ne passât en moins de quelques pages, parfois en moins de quelques lignes, de l’adoration à l’insulte et de l’emportement à la prière ; tour à tour suppliante et terrible, se traînant aux pieds de l’ingrat ou lui jetant l’invective au visage, essuyant avec ses lèvres la boue des injures, puis effaçant bientôt la trace des baisers sous de nouveaux outrages. Richard ne savait pas à quels excès de langage la passion aux abois pousse ces faibles ames, ni quel affreux besoin est en elles d’avilir leur amour, comme si, en le flétrissant, elles espéraient en guérir. Il dut prendre au sérieux, dans leur sens littéral, tous ces outrages et tous ces blasphèmes, et conclure naturellement que cet Évariste était un infâme. Et pourtant, dans les lettres de Mme de Beaumeillant, ce n’étaient pas les expressions inspirées par le mépris et par la colère qui l’irritaient le plus, cet enfant, mais le langage tendre et passionné, le refrain amoureux et doucement plaintif qui se mêlait incessamment aux cris de la passion blessée. Il ne se rendait pas compte des sentimens qui l’agitaient alors ; mais, à son insu, c’était moins au bourreau qu’à l’amant que s’adressait sa haine, et la jalousie entrait au moins pour moitié dans son désespoir. Voici quelques fragmens de la lettre que Mme de Beaumeillant avait écrite, sans doute à la veille d’expirer :


« Depuis deux ans, je vous attends tous les jours et je vous appelle, vous ou la mort. Vous n’êtes pas venu, vous ! Unique amie de mon désespoir, sois bénie, c’est Dieu qui t’envoie ; Dieu a eu pitié de ma peine. Évariste, je vais mourir ; je vous l’avais dit, il le fallait d’ail-