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deux, un volume appelé Fleurs du Midi, écrit de la main d’une femme, aurait renfermé de quoi faire une guirlande de madrigaux, de ballades et de sonnets ; voilà maintenant ce qu’on cache sous les fleurs, Néant, Mort, etc. Je l’avoue pourtant, l’impression que m’a laissée ce livre a été beaucoup plus gaie que sinistre. En définitive, je lui dois même une certaine reconnaissance, car il m’a donné la nouvelle espèce de femmes poètes que je cherchais, la muse des abîmes et des tempêtes, des doutes désespérés et des brûlantes amours, en un mot la femme qui s’est égarée sur les pas de Byron, au lieu de se perdre sur les traces de Parny. Si celle qui a écrit tous les sombres mots que nous venons de transcrire avait souffert réellement en les traçant, bien loin d’avoir pour elle des paroles de raillerie, je la plaindrais, et je la plaindrais d’autant plus qu’il n’y aurait pas à sa souffrance ce but sublime que Dieu met aux souffrances des poètes, d’être utiles à la cause du bien ou à celle du beau ; mais la forme est produite chez Mme Colet par une habitude du mécanisme poétique qui, j’en suis convaincu, a produit également la pensée. Elle appartient à cette école de faiseurs d’odes et d’élégies qui, dans l’innombrable quantité d’hémistiches que M. Victor Hugo et M. de Lamartine ont mis en circulation, trouvent de quoi multiplier jusqu’à l’infini les combinaisons rhythmiques. Il n’y a pas chez elle quelques-uns de ces élans de sensibilité qu’on peut rencontrer chez Mme Desbordes-Valmore et même chez Mme Tastu ; il n’y a pas non plus cette grace vive et hardie que l’auteur de Napoline sait donner quelquefois à ses vers ; ce qu’on y trouve, c’est une effrayante abondance de mots et de tours empruntés au langage des poètes en vogue. Mme Colet, venue au temps de Voltaire, aurait fait rimer dans des épîtres moitié scientifiques, moitié légères, badin et malin, astronomie et chimie ; sous l’empire, elle eût joint dans des odes sonores ces fameuses rimes dont on s’est tant moqué, gloire et victoire, guerrier et laurier ; elle unit maintenant malheur et douleur, archange et étrange, dans de sombres élégies ou des hymnes ténébreux. Le second recueil de vers de Mme Colet indique, rien qu’à la prétentieuse mélancolie de son titre, Penserosa, qu’on va y trouver la manière des Fleurs du Midi ; aussi l’y retrouve-t-on en effet toutes les fois que Mme Colet reproche au ciel de lui avoir donné un génie qui la dévore, parle des douleurs de l’ame et des terreurs de l’esprit, enfin paraphrase ces plaintes intarissables de la poésie moderne dont on commence à se lasser, il n’y a point, pour ceux qui la lisent, d’impression pénible. Sur ces sentimens de mode et d’apparat, qu’on bâtisse des vers faux et conven-