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RICHARD.

Pâle, froid et terrible comme la statue du commandeur, il entra dans la chambre de M. de La Tremblaye, alla droit à lui, et, sans préambule :

— Reconnaissez-vous cette écriture ? ce cachet est-il à vos armes ?

M. de La Tremblaye prit l’enveloppe que lui présentait Richard, l’examina, et dit :

— Cette écriture est la mienne ; ce cachet est aux armes de ma maison.

— Et maintenant, monsieur, ajouta Richard en tirant de son sein les lignes que Mme de Beaumeillant avait tracées avant d’expirer, connaissez-vous ces caractères ? est-ce à vous qu’une mourante adressa ces derniers adieux ?

M. de La Tremblaye prit le papier que lui tendait Richard, et, après l’avoir lu à travers ses larmes, il cacha son visage entre ses mains, et demeura long-temps anéanti sous le regard qui pesait sur sa tête.

— Vous êtes devant un fils qui demande compte de la destinée de sa mère, dit enfin M. de Beaumeillant en croisant ses bras sur sa poitrine.

Après quelques instans de silence :

— Asseyez-vous, monsieur, dit M. de La Tremblaye, et veuillez, quoi que je puisse vous faire entendre, m’écouter patiemment et sans m’interrompre. Lorsque j’aurai parlé, je serai tout à vous ; je me résigne d’avance et sans murmurer à ce que vous exigerez de moi.

Richard prit un siége. Au bout de quelques minutes de recueillement : — Vous n’attendez pas, monsieur, dit M. de La Tremblaye d’une voix altérée, mais calme, que je cherche à me justifier aux dépens de l’infortunée qui n’est plus. Quand la fatalité me jeta sur sa route, Mme de Beaumeillant était aussi pure que belle. Seul, je fus coupable ; j’étais jeune et j’aimais. Trop noble pour consentir à concilier son amour avec ses devoirs, trop fière pour se résigner à rougir devant l’époux que j’avais outragé, Mme de Beaumeillant prévint l’arrêt de son juge ; elle se punit elle même en s’exilant du foyer qui pourtant ne la repoussait pas. En échange des biens que je lui ravissais, que pouvais-je, sinon mettre à ses pieds ma vie tout entière ? Je l’accueillis dans ma tendresse. Vous semblerais-je moins criminel, si, après l’avoir égarée, j’avais fermé lâchement le seul refuge qui lui fût ouvert ? J’acceptai dans toute leur rigueur les devoirs sérieux et solennels que m’imposait une résolution désespérée. Je ne