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DU CRÉDIT ET DES BANQUES.

tractée par ce dernier de le rembourser plus tard. On dit que le crédit règne dans un pays, quand les prêts s’y font abondans et faciles, quand les détenteurs des capitaux les livrent fréquemment et sans beaucoup de peine, dans la confiance d’un remboursement futur. On dit de même d’un particulier, qu’il a du crédit, quand il trouve facilement des prêteurs. Mais il ne faut pas croire, comme cela n’arrive que trop souvent, que le plus grand effet du crédit soit de faire passer l’argent, ou même, pour parler d’une manière plus générale, les capitaux, des mains des capitalistes proprement dits dans celles des travailleurs. À voir la manière dont on raisonne ordinairement sur ce sujet, il semblerait que ce fût là son unique but, ou la seule application dont il fût susceptible. C’est, au contraire, la plus rare et la moins digne d’être observée. Dans tout pays, le plus grand nombre des actes de crédit se consomment dans le cercle même des relations industrielles, c’est-à-dire de travailleur à travailleur, de commerçant à commerçant. Le producteur de la matière première en fait l’avance au fabricant qui doit la mettre en œuvre, en acceptant de lui une obligation payable à terme. Ce dernier, après avoir exécuté le travail qui le concerne, avance à son tour et aux mêmes conditions cette matière déjà préparée à quelque autre fabricant, qui doit lui faire subir une préparation nouvelle, et le crédit s’étend ainsi de proche en proche, d’un producteur à l’autre, jusqu’au consommateur. Le marchand en gros fait des avances de marchandises au marchand en détail, après en avoir reçu lui-même du fabricant ou du commissionnaire. Chacun emprunte d’une main et prête de l’autre, quelquefois de l’argent, mais bien plus souvent encore des produits. Ainsi se fait, dans les relations industrielles, un échange continuel d’avances, qui se combinent et s’entrecroisent dans tous les sens.

C’est surtout dans la multiplication et l’accroissement de ces avances mutuelles que consiste le développement du crédit, et c’est là qu’est le véritable siége de sa puissance.

Si les avances mutuelles pratiquées entre les producteurs sont l’acte le plus ordinaire du crédit, on peut dire aussi, en passant, qu’ils en sont la manifestation la plus régulière et la plus sûre. Les industriels sont ordinairement, et surtout quand ils sont en relation habituelle d’affaires, les meilleurs juges de l’étendue du crédit qu’ils peuvent s’accorder entre eux sans danger. En général, d’ailleurs, les avances de ce genre consistant en marchandises qui deviennent, entre les mains de celui qui les reçoit, des capitaux productifs, sont les meilleures que l’on puisse faire, puisqu’étant destinées à alimenter le travail, elles portent avec elles une sorte de garantie de la moralité actuelle et de la solvabilité future du débiteur. Aussi est-ce par ce canal que le crédit se répand, non-seulement avec le plus d’abondance, mais aussi avec le plus de sûreté dans un pays. Cela ne veut pas dire que les autres modes de son développement, tels, par exemple, que les prêts directs en argent, soient indifférens ou irréguliers, ni qu’il faille les dédaigner ou les proscrire ; mais ces autres modes ne peuvent à aucun égard se comparer à celui dont nous parlons.