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menacés par l’insurrection, à se suspendre volontairement pour un temps déterminé. Toute l’histoire de la chute de la gironde est renfermée dans cette courte phrase de Garat : « Il n’existait dans Paris aucune force qui pût empêcher la journée du 2 juin ; toutes les forces de Paris étaient mises en réquisition pour la produire ; elle éclata. » En dépit de sa réserve habituelle, Barère eut pourtant alors un éclair de courage. Le 2 juin, il osa dénoncer le comité révolutionnaire de la commune, attaquer le conseil général, appeler la vengeance des lois sur la tête de l’audacieux qui attenterait à la représentation nationale, et cet audacieux, c’était le brutal Henriot, l’homme de tous les soulèvemens populaires contre les modérés de l’assemblée. Ce fut encore lui qui donna à la convention terrifiée le conseil d’aller rompre par sa seule présence cette formidable ceinture de canons et de baïonnettes dont l’avaient entourée les insurgés. Il y a dans la vie des hommes timides des momens d’exaltation où le calcul cède à l’empire des milieux, et Barère est resté convaincu que tous les malheurs de la révolution n’eurent pas d’autre cause que les épurations conventionnelles ; mais n’avait-il pas pris lui-même l’initiative des mutilations le jour où il s’était écrié que le duc d’Orléans était, comme Bourbon, hors de la loi commune, et qu’il fallait, par une mesure révolutionnaire, le rejeter du sein de l’assemblée ? Le lendemain de la défaite des girondins, Barère ne comptait déjà plus au nombre des opposans : « Vous faites un beau gâchis, » lui avait dit Robespierre, à l’heure de la crise, en le voyant pousser la convention au-devant du peuple armé, et ce mot, prononcé avec une expression sinistre, sonnait mal à l’oreille du peureux orateur qui avait autrefois poursuivi de ses sarcasmes le dictateur futur. Aussi garda-t-il désormais sur ces faits accomplis, pour parler le langage de nos législateurs actuels, un silence prudent ; son nom ne figurait point au bas de la protestation des soixante-treize ; il n’alla point exciter son département à la résistance contre les vainqueurs du 31 mai. Bien mieux, il se voua corps et ame aux montagnards, dont il avait flétri l’usurpation violente, et bientôt, élu membre du second comité de salut publie (10 juillet 1793), il oublia tout doucement ses passagères rancunes contre les puissans du jour, dont il était appelé à partager le redoutable pouvoir. « Ô vous ! s’écrie-t-il dans ses Mémoires qui êtes si braves quand les périls sont passés, qui criez si fort à la tyrannie quand d’autres que vous ont abattu le tyran ; dites si, placés comme moi au comité, avec des hommes d’opinions différentes (non en république ni en liberté, mais seulement sur les évènemens du 31 mai), dites si vous auriez repris les fonctions pénibles et dangereuses de membre du comité de salut public au milieu de la tourmente générale des opinions, de l’aigreur et de l’opposition universelle des esprits et des cœurs, et du chaos politique dans lequel quelques trois ou quatre dictateurs se réunissaient pour appuyer tout, excepté la justice, pour autoriser tout, excepté ce qui pouvait réunir les citoyens. Eh bien ! celui qui, ne voyant que la patrie malheureuse, n’a pas fui à sa voix, celui qui, ne voyant que des périls certains en la défendant, ne les a pas