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UN POINT D’HONNEUR.

teurs, singeries que tout cela ! Les convictions sont, à mon sens, fiction pure ou niaiserie. Je ne crois à aucune, pas même aux vôtres, monsieur, ajouta-t-il en se posant devant Albert.

Le ricanement et le coup-d’œil dont ces derniers mots furent accompagnés achevèrent de caractériser l’insulte. L’intention était manifeste. Une rumeur et puis un silence plein d’anxiété se firent tout à l’entour. Albert frémit sous le coup imprévu : son premier mouvement fut un geste de menace ; mais une réflexion subite le retint. Sa délicate et fière physionomie laissa voir tout l’effort qu’il faisait pour maîtriser ses sentimens. Brisant aussitôt le discours commencé, il traversa avec dignité la foule qui l’entourait, salua d’un geste les personnes de sa connaissance, jeta un regard de mépris au baron, et sortit suivi de Julien. Parvenu au bas de l’escalier, Albert se contenta de serrer la main de son ami et ne permit point qu’il l’accompagnât.

II.

Un essaim de pensées tumultueuses assiégea l’esprit d’Albert pendant la nuit, qui s’écoula sans sommeil. Le vague instinct qui l’avait empêché de relever un défi se précisait mieux par la réflexion. L’artiste en lui avait dominé l’homme à son insu. La voix d’une mission sainte avait secrètement murmuré en lui ; la statue ébauchée, et tout à coup apparue comme dans un mirage, s’était interposée entre lui et l’offenseur. Cette œuvre se représentait maintenant à lui avec tout le cortége de promesses et d’espérances qu’il y avait attachées. D’un autre côté, le ressouvenir de l’offense subie l’exaltait par momens, et il avait alors regret de sa modération. Une lutte s’engagea dans le cœur de l’artiste entre le désir de se venger et la crainte de voir s’évanouir tous ses rêves en succombant. Les chances étaient d’autant plus contre lui, que jamais il n’avait exercé sa main au maniement d’une épée ou d’une arme à feu. Tout entier à son art, il n’avait jamais connu d’autre gymnastique que celle du ciseau. Le hasard ou plutôt son équité avait permis que jusqu’à ce jour il n’eût pas eu de querelle. Son inexpérience et sa maladresse n’étaient égalées que par son courage naturel, courage nu et désarmé. Son adversaire, au contraire, était un de ces fringans cavaliers, insulteurs par caprice, spadassins par loisir, dont le degré d’audace se mesure toujours exactement à leur degré d’habileté. Ce n’était pas une terreur puérile qui dominait Albert. Dieu, qui lisait dans son cœur, le savait bien, et