Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 31.djvu/905

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
901
UN POINT D’HONNEUR.

dès ce moment Albert n’eût changé de maintien. Sentant tout le prix du bonheur de ces deux nobles femmes, il fit un effort pour se surmonter. Il s’appliqua à refouler sa tristesse au plus profond de son ame ; il se fit un masque de gaieté, ne laissant plus déborder ses impressions que pendant ses heures de solitude et de travail. Sitôt qu’il quittait l’atelier pour paraître devant sa mère et sa sœur, il dépouillait sa tristesse comme un manteau, il faisait à toute sa personne comme une parure riante et gracieuse. L’effort était rude, mais c’était pour lui un devoir, et il se fit une étude minutieuse et constante de le soutenir. En présence des deux femmes qui fixaient sur lui un regard d’une tendresse inquisitive, il jouait à merveille le contentement. Il leur ouvrait les plus fraîches perspectives sur l’avenir, tandis que, penchées sur lui, elles recueillaient avidement tout ce qui émanait de sa bouche ou de son regard.

— Nous nous étions trompées, pensaient alors les deux femmes, quand Albert était sorti. Sans doute ce chagrin que nous lui supposions, sans en démêler la cause, n’était que la contrariété de l’artiste déçu dans quelqu’une de ses intentions, mécontent des écarts d’un ciseau qui ne répond pas toujours à sa pensée. La passion de l’art est une passion qui dévore comme les autres, quoique plus noblement ; les mécomptes qu’elle fait essuyer ont toute l’apparence des soucis de l’amour ou de l’ambition. Heureusement ils sont moins durables, et peuvent se réparer par le talent. D’ailleurs Albert n’a-t-il pas toujours mis en part dans sa gloire sa mère et sa sœur, et n’est-ce pas une raison pour qu’il soit inquiet, pour qu’il doute peut-être ?

— Chère Alix, disait la mère, notre Albert veut relever de son renom d’artiste ta parure de fiancée ; c’est un noble souci après tout.

— Ma mère, répondait Alix, c’est qu’il veut en faire un ornement pour votre vieillesse ; laissons-lui ce généreux soin.

Ainsi parlaient ces deux femmes. Plus rassurées dès-lors, elles se reprenaient aux doux entretiens, aux fraîches espérances qu’un sombre nuage avait un moment obscurcies.

III.

Cependant, depuis le jour où Albert avait laissé une offense impunie, sa présence dans l’atelier était plus assidue, et sa main semblait tenir plus vaillamment le ciseau. Il se levait dès que perçait le premier rayon de soleil, et prolongeait son travail plus avant dans la