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tort d’ériger sa personnalité en type universel. Sa morale est excellente assurément, mais les motifs de sa morale sont de nature à l’affaiblir plutôt qu’à la fortifier. L’amour de la patrie, la dignité individuelle, le respect de l’homme, le courage, la clémence, étaient des vertus avant les lumières du Calvaire, et seraient encore des vertus alors même que ces saintes lumières viendraient à s’éteindre.

Après le discours sur les Devoirs des Hommes, dit Pellico[1], j’ai ébauché à plusieurs reprises un petit traité sur les Devoirs des Femmes. » Nous regrettons pour notre part qu’il n’ait pas commencé par là.

Il est un livre que nous n’avons point encore nommé, mais qui était dans notre esprit dès les premières pages de cette étude, comme il est sans nul doute dans la pensée de tous nos lecteurs. Ce livre a pour titre : Mes Prisons (Mie Prigioni). Ici l’auteur disparaît, l’homme reste seul. Quelque temps après son retour à Turin, Pellico avait pris pour directeur spirituel un prêtre octogénaire, nommé dom Giordano. « Ce fut ce saint vieillard, dit-il, qui, à diverses reprises, m’ayant entendu raconter en détail tout ce que j’avais souffert dans les prisons de Milan, de Venise et du Spielberg, me conseilla d’écrire tout cela et de le publier. Je ne me rendis pas sur-le-champ à son avis. Les passions politiques me semblaient encore trop ardentes en Italie et dans toute l’Europe ; trop commune était encore la fureur de se calomnier les uns les autres… Je parlai de ce projet à ma mère. — J’y vois du danger, me dit-elle, et il me fait trembler. Éclairons-nous par la prière. — À quelques jours de là, elle me demanda si j’avais prié Dieu dans cette intention. — Oui, lui répondis-je ; je crois que ce livre peut avoir son utilité et qu’il faut l’écrire[2]. » Le livre était dans l’imagination du poète, dans le cœur du chrétien ; le livre fut écrit.

Si la résolution de Silvio ne fut pas entièrement spontanée, l’initiative de dom Giordano trouva une terre bien préparée ; l’ouvrage fut commencé avec effusion et bientôt terminé. Le succès fut grand, la surprise plus grande encore. On s’attendait à la vengeance d’un tribun, on vit le pardon d’un martyr. Quel sujet d’étonnement ! Il y eut cependant des gens qui accusèrent Silvio d’exercer des représailles et d’avoir fait une œuvre de rancune, d’autres au contraire le traitèrent d’apostat et ne virent que de la lâcheté dans sa clémence ; mais,

  1. Mie Prig., cap. ined., XII.
  2. Mie Prig., cap. ined., VI.