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JACQUES CALLOT.

puissante, sur le cuivre il créait ; on peut pousser l’image jusqu’à dire qu’il tira un monde du chaos, un triste monde, il est vrai. Il ne fut pas un créateur sévère et naïf, car il voyait tout par le prisme de sa fantaisie. Peut-être, en grand poète, a-t-il compris que tout se touche dans la vie, le grandiose et le grotesque, la douleur et la joie, la boue et l’or ; que, dans les pages les plus sérieuses de ce grand livre, il y a toujours le mot pour rire.

Dès la fin de son séjour à Florence, le travail était devenu sa seule passion, passion de plus en plus envahissante, sans pitié, sans relâche, qui le conduisit au tombeau jeune encore, mais déjà courbé, flétri, épuisé comme un noble cheval qui a couru le prix trop long-temps. Le pauvre artiste avait perdu sans retour, par un fatal aveuglement, ce trésor précieux qui s’appelle le temps. Malheur à ceux que le temps dépasse et entraîne ! Le pauvre Callot n’avait plus d’yeux que pour graver ; s’il sortait de l’atelier, ce n’était que pour chercher des sujets de gravure : un mendiant, un soldat, enfin quelque acteur bizarre de la comédie humaine. Il ne se donnait pas le temps d’admirer les grandeurs et les beautés de la création, ni le soleil, ni les étoiles d’or, ni les fleurs qui secouent leur baume, ni les beaux soirs, ni les belles nuits, ni la verdure, ni les cascades, ni les filles de vingt ans. Il semblait que Dieu ne lui eût donné que le cuivre pour toute joie ; du cœur et de l’esprit, il n’était plus guère question.

Il retourna à Nancy. Un soir, le vieux héraut d’armes, penché à la fenêtre, voyant s’arrêter un carrosse à la porte de sa maison, demanda à sa femme si c’était un équipage de la cour. La bonne dame Renée, qui voyait plus clair que lui du cœur et des yeux, s’écria en tombant sans force sur le rebord de la croisée : C’est Jacques ! c’est ton fils ! Le vieux héraut descendit en toute hâte, se demandant s’il était possible que son fils, le graveur de niaiseries, revînt en équipage. Il l’embrassa gravement, et, après la première étreinte, il s’empressa de voir si les armes de Callot étaient peintes sur le carrosse. Il mit ses lunettes, et découvrit avec une joie orgueilleuse le blason de son fils : cinq étoiles formant une croix, « la croix du travail, a-t-on dit, car les étoiles indiquaient les veilles de Callot et ses espérances de gloire. »

Un peu fatigué de ses courses vagabondes, Callot résolut de finir ses jours à Nancy ; il acheta une maison et se maria. On ne dit rien de sa femme Catherine Kuttinger, sinon qu’elle était veuve et qu’elle avait une fille. Ce devait être à coup sûr un mariage de raison. À peine marié, il devint très dévot ; il assista à la messe tous les matins