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JACQUES CALLOT.

rejeta le burin, il passa la belle saison à Villers, où son père avait une campagne. Il suivit d’un œil souriant les jeux folâtres de la fille de sa femme ; il l’emmenait en ses promenades pour la voir bondir dans la rosée comme une biche en gaieté. La nature, qui est une bonne mère pour ceux qui souffrent, loin d’apaiser le mal de Callot, l’irrita peut-être par son éclat printanier, son baume pénétrant, ses joyeuses chansons. D’ailleurs, Callot ne voyait guère ce tableau si doux des prairies diaprées, des bois frémissans, des haies en fleurs, des vergers épanouis. Il contemplait les images fantasques de son imagination ; il contemplait surtout alors… devinez quoi ? le diable ! Satan, ses peuplades infernales, ses flammes éternelles. Callot croyait fortement au diable, à ses pompes, à ses œuvres ; il voyait s’agiter sous son regard catholique les sept péchés capitaux en personne avec leurs attributs. Callot commençait déjà dans sa pensée son grand œuvre de la Tentation de saint Antoine, poème burlesque et grandiose dont presque toutes les pages sont dignes de l’Arioste et de Dante.

Ce fut aux portes du tombeau que Jacques Callot exécuta cette œuvre étrange avec une pieuse vénération pour saint Antoine. Ne voyez pas là du grotesque à faire peur ou à faire plaisir. Callot a voulu représenter le triomphe de la vertu résistant par le signe de la croix à toutes les attaques de l’enfer. C’est une œuvre pieuse faite, entre la messe et la prière du soir, par un poète un peu fantasque et fort chrétien ; c’est un vaste tableau d’une belle ordonnance, où l’on trouve fidèlement traduite la pensée de l’Évangile. Les plus orthodoxes ne pourraient guère reprocher à l’artiste que d’avoir fait le diable trop plaisant.

La Tentation de saint Antoine est à coup sûr une œuvre sérieuse. Callot, qui croyait au diable, comme Hoffmann, cet autre rêveur de la même famille, se fût bien gardé d’en rire. Il faut s’en prendre à son talent capricieux s’il a fait le diable si espiègle. Tous les accessoires de ce grand tableau nous paraîtraient moins grotesques, si nous pouvions nous-mêmes croire un peu plus au diable. Toutes les allégories imaginées par Callot sont étranges, mais très orthodoxes. L’idée de la Tentation lui vint à la lecture de Dante ; il relut le grand poète italien, il alluma son imagination aux rayons lumineux et fantastiques de cet astre de poésie, enfin il créa à son tour un poème sur cuivre digne de l’autre poème par la fougue, la force et le délire, poème étrange qui sent bien son enfer, et qui ferait peur au diable lui-même.