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LES AFFAIRES DE CHINE ET DE L’AFGHANISTAN.

Ce fut sur les murailles que se décida l’affaire. La garnison tartare avait ouvert sur les assaillans un feu très bien nourri ; une frégate à vapeur y répondit par des bombes, mais elle fut bientôt obligée de cesser son feu, parce que les troupes envoyées à l’assaut escaladèrent immédiatement les remparts. Le premier qui parvint au haut de la muraille fut un lieutenant irlandais appelé Cuddy, qui monta lentement et bravement à l’échelle, et, une fois en haut, s’assit sur le mur au milieu d’une grêle de balles, et aida les autres à monter. Peu de minutes après, les couleurs d’Angleterre furent arborées sur le rempart et saluées par les hurrahs de toute la flotte. Néanmoins la ville n’était pas encore prise. Les Tartares, avec le plus grand courage, disputaient le terrain pied à pied et faisaient des charges désespérées. Ils ne cédèrent que devant l’irrésistible baïonnette européenne.

Pendant l’assaut donné aux murailles, une autre division anglaise faisait sauter une des portes de la ville. La résistance s’étant prolongée plus qu’on ne s’y attendait, on avait débarqué des soldats de marine et une partie des équipages des vaisseaux. Malgré l’arrivée de ces renforts, les Tartares soutinrent intrépidement le combat dans les rues pendant plusieurs heures, et ce ne fut que dans la soirée qu’ils disparurent entièrement. Les uns jetèrent leurs armes et leurs uniformes et prirent la fuite, d’autres se réfugièrent dans les maisons ou se mêlèrent aux habitans. Les Anglais, maîtres des portes, laissaient passer tous ceux qui voulaient fuir. Après le combat, le pillage commença. Les commandans anglais firent tous leurs efforts pour l’empêcher, mais c’était la population chinoise elle-même qui était en tête. Le général Gough, dans son rapport, raconte, comme exemple de la manière systématique dont les Chinois procédaient, qu’ils mettaient le feu aux deux bouts d’une rue pour piller les maisons, et s’échappaient ensuite avec leur butin par les allées latérales. La chaleur était excessive ; plusieurs officiers et beaucoup de soldats anglais périrent pendant l’assaut par des coups de soleil.

On a vu par la résistance déterminée des Tartares que ce n’est pas le courage qui manque à la population de ce vieil empire. La prise de Chin-kiang-fou a offert des traits d’un héroïsme véritablement antique. Ainsi, quand le général tartare vit que tout était perdu, il rentra dans sa maison, y fit mettre le feu, s’assit au milieu de sa famille, et se laissa brûler jusqu’à la mort avec tous les siens. Son secrétaire, qui fut trouvé le lendemain caché dans les ruines, raconta la mort glorieuse de son maître, et reconnut ses restes à moitié consumés. D’autres enfoncèrent leurs éperons dans les flancs de leurs chevaux, et se jetèrent tête baissée sur les baïonnettes anglaises. On retrouve chez ces prétendus barbares ce sentiment qui n’existe que chez les peuples très civilisés, le sentiment du point d’honneur. Beaucoup d’entre eux ne cherchèrent pas même à se venger en mourant, et, se voyant trahis par la fortune, se tuèrent au lieu de se faire tuer. Il paraît que l’aspect de la ville, le lendemain de l’assaut, était horriblement triste. En entrant dans les maisons, les vainqueurs y trouvaient partout des femmes et des enfans tués et