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et de ses armées, et pour subvenir à l’entretien de l’Europe, elle escompta l’avenir et descendit de plus en plus dans le gouffre sans fond du crédit. La circulation presque arbitraire du papier-monnaie fit plus que tripler la valeur nominale de toutes les fortunes, et, entraînée par ce courant fatal, l’Angleterre s’abandonna de plus en plus à cet esprit morbide de spéculation qui est la source des désordres de sa constitution.

Cependant, à mesure que le commerce se développait, la population croissait dans une égale proportion. L’abondance des biens engendrait l’abondance des hommes, et chaque manufacture qui surgissait du sol voyait naître et grandir à son ombre des familles nouvelles agglomérées les unes sur les autres. Dans le temps même où cette progression du chiffre de la population nécessitait un accroissement égal de la somme des subsistances, l’Angleterre, isolée du continent par la guerre, fut réduite à chercher sur son propre sol la nourriture de ses enfans. Pour faire face aux besoins de la consommation, il fallut doubler les productions de la terre, et ce fut alors que ce système de fécondité artificielle et d’exploitation factice, qui s’était emparé de l’industrie, s’introduisit aussi dans l’agriculture. Les bruyères, les marais, les terrains vagues, furent défrichés, desséchés et déchirés par le fer de la charrue ; l’or fut semé à pleines mains pour féconder les sillons ingrats ; la terre fut enrôlée comme les hommes, et forcée de payer la taxe de guerre ; sollicitée et pressurée jusqu’au sang, elle se fendit en vomissant des flots de moissons rebelles ; la nature elle-même sembla s’associer à l’excitation fébrile de ces temps héroïques, et l’on vit l’Angleterre, dans un paroxisme d’industrie, inventer jusqu’à des récoltes.

Mais, comme ces blés de serre-chaude croissaient sur des terres qui n’étaient pas destinées à les produire, comme cette culture innaturelle exigeait l’emploi d’une double somme d’industrie et de capital, et, comme les frais de la production déterminent toujours le prix des produits, il arriva que d’année en année la cherté des grains s’accrut en raison même de l’abondance des récoltes, parce que, plus l’exploitation descendait aux terres de qualité inférieure, plus elle nécessitait l’application de nouveaux capitaux. Les grands propriétaires, déjà protégés par le blocus qui leur servait de barrière contre la concurrence des grains étrangers, et par le haut prix des assurances maritimes pendant la guerre, se protégèrent encore eux-mêmes par des lois prohibitives ; et de 1809 à 1814, c’est-à-dire dans les dernières années de l’empire, le prix du blé en Angleterre fut plus que double