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de ces escadrons volans qui se forment au sein des assemblées parlementaires. Ceux qui crient à l’absurdité de la comédie politique peuvent se moquer de l’allusion, ceux qui croient les mœurs de nos gouvernans fort propres à être traduites sur le théâtre déclarent l’allusion de bonne guerre et désirent qu’elle soit profitable.

Les deux caractères les plus originaux de la pièce de M. Scribe, ce sont le caractère de Monk et celui de Lambert. Monk est l’homme d’état par excellence, l’homme qui soumet aux conseils de sa politique les intérêts les plus chers qu’il y ait en ce monde, les intérêts même de l’honneur. Monck signe la proclamation où il reconnaît Richard pour protecteur, en accordant une entrevue à Charles II. Il joue avec les sentimens les plus sacrés de la cause populaire, et ne puise ni dévouement ni enthousiasme dans les regards du roi. Lambert est un de ces soldats dont le langage, empreint d’une grossière franchise, cache une pensée égoïste et intéressée. Le cœur qui bat sous sa cuirasse n’a des nobles cœurs qui s’offrent d’ordinaire à la pointe des épées que le courage, il n’en a pas la loyauté et l’abnégation. Il y a entre Lambert et Richard une scène qui a produit un grand effet. Déçu dans toutes ses espérances, trompé dans toutes ses affections, le malheureux fils de Cromwell se retourne vers le vieux soldat qui a combattu autrefois avec son père, comme vers le seul ami sur lequel il puisse encore compter. Tout à coup il pousse un grand cri de désespoir ; dans un moment de brutale expansion, Lambert vient de lui avouer que, s’il le sert, c’est parce qu’il a besoin de lui pour opposer sa puissance à la puissance vengeresse du prétendant. Enfin, que dirons-nous de Richard ? Nous le répétons, Richard est un honnête homme, et c’est son honnêteté qui purifie l’œuvre dont il est le héros. On s’est beaucoup moqué de son humeur champêtre et de sa morale d’églogue. Nous ne pouvons point voir ce qu’il y a de ridicule et surtout de forcé dans l’amour qu’un homme élevé à la campagne conserve pour la vie des champs, au milieu des tracas de la vie politique. Nous trouvons aussi fort naturel que le fils d’un meurtrier désire quitter, même pour un lit de paysan, le lit où son père n’a point dormi. Dans l’histoire, la retraite du fils de Cromwell au fond d’une métairie fait pénétrer comme une bouffée d’air pur au milieu de l’atmosphère chargée de sanglantes vapeurs dont on est environné ; c’est un de ces évènemens expiatoires qui rafraîchissent l’esprit en l’arrêtant sur des méditations salutaires. Je ne comprends point pourquoi ce fait perdrait dans le drame son enseignement.

Les acteurs n’ont point fait défaut à M. Scribe, tous ont rempli leurs rôles avec intelligence et talent. Mlle Plessis ressemblait à un de ces jolis portraits du siècle de Louis XIV qui sont à Versailles dans les petites galeries des combles ; vous auriez dit Mlle de Fontanges ou Mme de Montespan. L’imagination est si gaiement occupée de tous les rians détails de sa parure et de tous les charmans artifices de sa coquetterie, qu’on se sent porté à un excès d’indulgence pour la prose qu’elle débite. Il faut que ceux qui écrivent des rôles pour elle tâchent d’oublier les dispositions débonnaires où elle met le public.