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DE LA LÉGISLATION ANGLAISE SUR LES CÉRÉALES.

l’application d’un droit mobile, elle est elle-même la règle et le principe de la loi.

On dit que le système des droits mobiles est le plus juste et le plus naturel, parce qu’il se règle sur les alternatives des saisons ; mais le premier principe des lois économiques n’est-il pas au contraire de corriger cette action arbitraire des saisons ? C’est comme si vous reprochiez à la vapeur de ne pas obéir à tous les caprices des vents. C’est la lutte avec les élémens qui constitue la liberté humaine. Les instincts de la nature ne sont pas mieux réglés que ceux de l’enfant qui vient de naître. Elle aussi a participé à la chute universelle ; elle aussi a ses passions, passions soudaines, désordonnées, que la mission de l’intelligence et de l’industrie est de dompter et d’asservir. Dire que dans les temps de disette l’homme n’a qu’à courber la tête devant un pouvoir supérieur, et à se renfermer dans une résignation musulmane, c’est parler un langage impie. Il n’est point vrai que Dieu ait créé le mal sans donner à l’homme les moyens de s’y soustraire. La patrie universelle, alma parens tellus, ne refuse jamais à ses enfans son sein maternel : il y a sous le soleil assez de place et assez de pain pour tous les hommes. Dieu compense la stérilité d’un continent par la fécondité d’un autre ; quand il verse les intarissables trésors de sa colère sur nos moissons ravagées, il dispense à d’autres rivages les dons bienfaisans de sa prévoyance ; quand la tempête détruit nos récoltes, il y a des contrées lointaines où la Providence bénit le mariage mystérieux du ciel et de la terre, et où les sillons, fécondés par des torrens de soleil, éclatent en moissons généreuses. C’est donc l’homme qui arrête par ses lois la distribution naturelle des biens du ciel, c’est lui qui se jette au travers de la législation divine, et qui mêle ses passions déréglées aux caprices incompréhensibles des saisons.

Voilà le vice radical de la législation anglaise sur les grains ; c’est qu’au lieu de remédier aux fluctuations inévitables des récoltes, elle ne fait qu’introduire dans l’action inconstante de la nature un nouvel élément de désordre et d’instabilité. Quelle que soit la restriction apportée par la loi nouvelle à l’esprit d’agiotage, il est certain néanmoins que la seule perspective d’une variation dans les droits engagera toujours les spéculateurs à garder leurs grains en entrepôt pour amener des hausses forcées et factices. Cet esprit de spéculation, qui jette le trouble dans les marchés de l’intérieur, exerce aussi son influence sur le commerce extérieur. L’établissement d’un droit va-