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DU SORT DES CLASSES LABORIEUSES.

un nouveau locataire, tant la misère est pressée de remplir ces ruches impures. » Les médecins ont rencontré avec horreur six personnes malades dans une seule chambre, et jusqu’à quatre dans un même lit. En visitant cette cité des pauvres, M. Buret a rencontré fréquemment « des familles nombreuses qui ne possédaient pas un meuble, pas même des planches pour étendre la paille sur laquelle elles reposent : à peine quelques haillons en lambeaux pour cacher leur nudité. » Le docteur Soutwood a donc pu dire sans exagération, dans un troisième rapport, que la misère menace à chaque instant de la peste toute la partie orientale de la ville de Londres.

Qu’on ne dise pas que la fermentation de la plus populeuse cité du monde y développe des désordres exceptionnels. Il n’est pas de grande ville anglaise qui n’ait aujourd’hui sa petite Irlande, c’est l’expression consacrée. À Manchester, dit le docteur Kay, qui a guidé M. Buret dans ses explorations, les ouvriers « ont appris le fatal secret de borner leurs besoins à l’entretien de la vie animale et de se contenter, comme les sauvages, du minimum des moyens de subsistance qui suffisent à prolonger la vie. » Il n’est pas rare d’y trouver plusieurs familles blotties dans une cave humide. Ce qui est plus affreux encore, ce sont les maisons de logeurs où la misère s’avilit au contact du crime, « où les âges et les sexes couchent pêle-mêle, sous un lambeau de la même couverture, sur la même paille, et jusqu’à six dans un même lit. » Croirait-on qu’au milieu d’une telle population se trouvent des parias plus malheureux qu’elle encore ? Dans un réduit où il pénétra, M. Buret trouva une femme récemment accouchée, un homme malade, et un enfant mort que ses parens conservaient depuis dix jours, faute d’argent pour le faire enterrer. C’étaient de ces Irlandais maudits auxquels Manchester refuse toute charité, même celle de la sépulture. À Spitalfields, il a été constaté que beaucoup d’ouvriers ne vont pas à l’église par défaut de vêtemens. Dans la fastueuse Liverpool, le septième de la population, quarante mille individus, n’ont pour asiles que des caves, et cinq mille familles favorisées campent dans des cours. À Leeds, les commissaires ont remarqué que de temps en temps les égouts débordent dans les caves habitées. Suivant la dernière enquête, deux mille huit cents familles de Bristol n’ont qu’une seule chambre : mêmes observations pour Nottingham, Newcastle, etc.

Après de telles descriptions, on reste stupéfait en lisant : « Les grandes villes d’Écosse nous offrent, dans les quartiers habités par les classes pauvres, plus de misère, plus de dénuement encore que dans les plus mauvais districts des villes anglaises. » Les expressions semblent manquer au commissaire du parlement, M. Symons, pour décrire le quartier de Glascow, appelé les Wynds. Qu’on se représente un labyrinthe de ruelles sur lesquelles s’ouvrent une multitude de passages qui conduisent dans de petites cours carrées, et, dans chacune de ces cours, une vingtaine d’êtres humains, entassés pêle-mêle sur de la paille moisie, hommes, femmes, enfans, les uns vêtus, les autres nus, sans ressources plus assurées que le vol et la prostitution, sans autre