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salaires ; la spéculation, portant plutôt sur la consommation intérieure que sur le trafic lointain, se régulariserait plus facilement.

Il y a un système de rapports bienveillans à établir entre l’autorité et les travailleurs. Aucune amélioration n’est possible sans une discipline quelconque qui permette au pouvoir d’exercer sa surveillance tutélaire, et aux ouvriers de faire entendre légalement leurs vœux et leurs doléances légitimes. Conviendrait-il d’adopter le classement hiérarchique de M. de Lafarelle ou le système représentatif de M. Buret ? Suffirait-il de généraliser, en la modifiant sur plusieurs points, l’institution déjà éprouvée des prud’hommes ? C’est ce qu’il ne nous appartient pas de décider. On pourrait aussi emprunter à M. Tarbé l’idée d’une magistrature des pauvres ; comme celles qui ont existé dans les municipalités gallo-romaines soumises au gouvernement paternel des évêques. Il y aurait équité et convenance à ce que, dans chacune des chambres législatives, les classes nécessiteuses eussent des mandataires spéciaux, des avocats nommés d’office par le pouvoir pour exposer avec réserve et dignité les justes réclamations de ceux qui souffrent.

Ces foyers d’infection où croupissent les pauvres ouvriers des grandes villes sont une honte et un danger ; il faut les faire disparaître pour cause de salubrité publique autant que par sentiment d’humanité. Ce ne serait pas imposer une charge de plus aux conseils municipaux. Il est démontré que les demeures destinées aux pauvres sont d’une location plus facile et relativement plus productive que les habitations de luxe. Il serait donc facile de diriger la spéculation vers ce point et de remplacer, à l’avantage de tous, les affreux réduits où l’ame et le corps se dégradent, par de petits logemens modestes mais du moins salubres. En beaucoup de cas, on pourrait combiner les véritables intérêts des chefs d’industrie avec les précautions hygiéniques à observer.

Quand on vote des lois de finances, quand on forme un établissement de crédit, on néglige trop souvent d’en étudier les effets dans l’intérêt spécial de la classe inférieure. L’extension continuelle du crédit ne cesse de déprécier l’argent par rapport aux denrées de nécessité première. L’Europe possède, dit-on, en espèces métalliques, 6 milliards, dont 3 appartiennent à la France ; les valeurs de crédit sont estimées à 60 milliards. Si les salariés trouvent leur compte dans ce développement de la circulation, il y a aussi pour eux un désavantage dans la dépréciation du numéraire qui en résulte et qui réduit la puissance réelle des salaires. Ne pourrait-on pas établir une compensation en fondant enfin le crédit des pauvres ? La difficulté est grande, nous le savons ; on ne prête qu’aux riches, dit un cruel proverbe ; c’est-à-dire que, pour emprunter, il faut offrir des conditions de solvabilité. Mais pourquoi n’essaierait-on pas d’établir une solidarité entre plusieurs emprunteurs ? Pourquoi n’instituerait-on pas, dans chaque corps d’état, un petit comptoir d’escompte[1], dont le fonds serait fait avec les modestes épargnes des travailleurs ? On ne saurait

  1. Nous avons eu occasion de développer cette proposition dans une étude sur les finances. Voyez la Revue des Deux Mondes, livraison du 1er  mai 1840.