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REVUE. — CHRONIQUE.

absolument rien à craindre l’une de l’autre ; toute supposition contraire ne serait aujourd’hui qu’une absurdité palpable. Le principe des deux gouvernemens est le même, les formes en sont analogues : le génie, la langue, les habitudes, les productions des deux pays, ont ce degré de ressemblance et de diversité qui rend les communications à la fois faciles et réciproquement utiles. Une ressemblance complète et une profonde diversité sont des conditions peu favorables aux relations internationales et, en particulier, aux relations commerciales.

En Afrique, si les dernières nouvelles sont vraies, Abd-el-Kader aurait retrouvé une armée, quitté le désert, attiré à lui quelques-unes des tribus que nous avions soumises et attaqué assez vigoureusement l’arrière-garde de l’une de nos divisions. Nos généraux manœuvrent pour essayer de couper la retraite à l’émir et le faire repentir de son audace. Cette nouvelle levée de boucliers ne doit pas nous étonner. Ce serait mal connaître les populations arabes et en général les populations demi-barbares et nomades, que de se les représenter toutes soumises du premier coup et fidèles à leurs promesses, au point de résister à toutes les séductions de la religion, de la nationalité, de la vie errante et aventureuse. Nous ne pouvons conserver notre conquête qu’à la condition de guerroyer plus ou moins chaque année et d’avoir souvent à punir la trahison et le parjure. Ceux qui n’aiment que les conquêtes promptement assurées doivent porter ailleurs leurs pensées et leurs efforts. L’Afrique est une arène où nous rencontrerons pendant longues années des combattans acharnés. Leur nombre diminuera, leurs forces se trouveront affaiblies, mais nous ne pourrons pas déposer les armes sans tout compromettre. L’Afrique, c’est la guerre : la supprimer, c’est impossible ; mais on peut, par des efforts intelligens et persévérans, en resserrer le théâtre, en diminuer les dangers, en éloigner le trouble et le bruit. C’est dire que nous partageons dans ce qu’elle a d’essentiel l’opinion que M. le général Bugeaud vient de rendre publique par un écrit sur l’Algérie[1]. La colonisation protégée et secondée par une forte occupation militaire nous a toujours paru le seul moyen décisif en Afrique, le seul qui pût nous faire espérer des résultats satisfaisans et sérieux. Nous n’avons jamais compris ces systèmes intermédiaires qui n’allaient ni à consolider la conquête ni à l’abandonner. L’abandon n’aurait certes pas été une pensée nationale et honorable ; il aurait du moins été une conclusion légitime pour ceux qui étaient convaincus qu’on ne pouvait tirer aucun parti de l’Algérie, qu’il n’y avait là que des maladies à gagner et de l’argent à dépenser. Mais, une fois la pensée de l’abandon écartée, c’était une déplorable politique que d’envoyer chaque année en Afrique le nombre de soldats propre à provoquer les Arabes sans leur faire sentir en même temps toute notre puissance, sans rien fonder de permanent, de régulier, d’européen dans le pays. C’était vouloir se retrouver chaque

  1. Paris, chez Dentu libraire, Palais-Royal.