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Ainsi, Rouen demande que la magistrature se voie purgée des mal affectionez au parti, que les citadelles soient démantelées pour la seureté des villes, et enfin (cela ne pouvait manquer) que les justes priviléges de la Normandie soient intégralement maintenus ; Reims désire que les prisonniers hérétiques ne soient mis en liberté qu’après abjuration ; le clergé d’Auxerre exige l’abolition de l’abominable taille du décime établie sur les ecclésiastiques ; la Picardie veut être gouvernée par des états triennaux. Partout enfin on réclame un roi : à Auxerre, un prince quelconque qui épousera l’infante ; à Amiens, un monarque nouveau sur l’élection duquel la municipalité amiénoise sera consultée par ses députés. Voilà bien des exigences diverses. Si l’unité d’un gouvernement fort, si la liberté religieuse par l’édit de Nantes, sont sorties de toutes ces folles prétentions, de ces factions anarchiques et intolérantes, de ces passions étroites et locales, on avait cru jusqu’ici qu’il en revenait quelque gloire à Henri IV ; mais ce n’est là qu’une vieille erreur, si l’on en croit les modernes avocats de la ligue.

La guerre, la peur, le dégoût de l’Union, les progrès du Béarnais empêchèrent bon nombre de députés de se rendre à Paris. Ces absences, multipliées surtout dans la noblesse, ne manquèrent pas de déconsidérer d’abord les états, à une époque où l’aristocratie était encore si puissante. Contre l’habitude, en effet, aucuns princes, aucuns maréchaux, aucuns présidens de cour souveraine ne se trouvaient en cette assemblée. Le tiers y avait cinquante-cinq représentans, le clergé quarante-neuf, la noblesse vingt-quatre, en tout cent vingt-huit députés. La plupart étaient inconnus et sans antécédens dans les affaires, « des noms de faquins, comme dit trop crûment Pithou, dont on fait litière aux chevaux de messieurs d’Espagne et de Lorraine. » Les historiens (M. Bernard s’est gardé de citer leur opinion) sont d’accord sur le peu d’éclat de l’assemblée, sur le scandale même de quelques élections. Pierre Matthieu affirme même « qu’il y en avoit qui se disaient députez de bailliages où ils n’eûssent osé mettre les pieds. » Mézeray, à son tour, qui recueillait les traditions de près, garde un sentiment pareil sur la chambre du tiers qui avait été composée, selon lui, « de toutes sortes de gens ramassés. » Ce discrédit immédiat n’échappa pas à Mayenne ; aussi essaya-t-il d’y remédier en voulant, mais sans y réussir, constituer une quatrième chambre de magistrats et de fonctionnaires qui eût servi de contre-poids, et surtout en créant pour les états, comme s’il était roi, un amiral et quatre maréchaux, qu’un historien contemporain appelle spirituellement des maréchaux de France-castillanne. Puisque M. Bernard n’a pas cité, il faut bien que je supplée à son silence.

Parmi les hommes moins obscurs qui firent partie des états de la ligue, il est juste cependant de faire place à Anne d’Urfé, député du Forez, et à l’avocat Étienne Bernard de Dijon, qui s’était rendu important aux précédens états de Blois. Quant au haut clergé ligueur de province, je dois noter que c’est lui évidemment qui tenait la première place, par des prélats déjà célèbres, déjà mêlés avec bruit aux précédentes saturnales de la ligue, entre autres les