Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/279

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
275
LES ÉTATS DE LA LIGUE.

son œuvre ; tantôt il est en froideur, tantôt en bonne intelligence avec les états, qui l’appellent d’abord monsieur, puis monseigneur. Son amour du pouvoir est effréné ; tous les moyens lui sont bons : le voilà qui use tour à tour de la promesse et de la menace, qui se ménage des retraites, des faux-fuyans, qui n’ose pas aller au bout de ses projets, mais qui les glisse, les insinue et les multiplie. Contre le Béarnais, le prétexte de la religion lui est un drapeau ; contre les Espagnols, il avive en secret les susceptibilités nationales ; contre son neveu, ce petit garçon de Guise, comme disait la duchesse de Mayenne, il évoque le fantôme du tiers-parti. Partout, en un mot, des trames, des détours, un esprit de ressources vraiment prodigieux. Cet homme est le symbole des états de la ligue ; son œuvre a échoué comme la leur, et il occupera dans l’histoire la même place indécise et douteuse. Jamais il n’a défendu la cause commune, comme le prétend M. Bernard ; il ne s’est jamais, au contraire, préoccupé que de la sienne, et avec cette habileté extrême qui, pour l’honneur de la morale, cesse d’être de l’habileté.

L’arrêt du parlement, la conversion de Henri IV, ses succès militaires, ses progrès dans l’opinion, l’absence de Mayenne, que l’urgence appelait aux armées, la fatigue, le dégoût, l’inquiétude, finirent par donner à la plupart des membres de l’assemblée le désir du départ. La fin de l’été approchait d’ailleurs, et alors, comme on sait, le mal du pays vient fatalement aux députés : même quand il s’agit de faire un roi, il est bien permis de songer à ses récoltes. Les demandes de congé se multiplièrent donc ; chacun parla d’aller chez soi[1], et la plupart finirent même par déclarer au lieutenant général qu’il leur fallait à toute force un licenciement, et qu’au cas « où il ne le bailleroit, ils le prendroient. » Mayenne, qui ne demandoit peut-être pas mieux que de se voir délivré d’une chambre tumultueuse et importune, s’exécuta de bonne grace, et, après avoir exigé un banal serment de fidélité à l’Union et de retour en temps utile, il congédia les états, au grand désappointement des prétendans et au regret des bourgeois gausseurs qu’égayait le ridicule spectacle de cette impuissance parlementaire. Une dernière réunion[2] cependant fut convoquée, dont le procès-verbal officiel ne fait pas mention, et que M. Bernard a omise ; je veux parler d’un fort beau festin final donné par Mayenne à un certain nombre de députés importans, et «après lequel il tint conseil avec eux. » On y traita sans doute cette petite et secondaire question, cette mince affaire de l’élection d’un roi de France. Nous parlerons de cela après boire, comme dit Rabelais. Cet adieu édifiant en valait un autre, et il avait au moins l’avantage de laisser aux envoyés des provinces une bonne disposition, un favorable souvenir, qu’on comptait bien mettre un jour à profit. Béranger (n’est-ce pas là un direct descendant des libres auteurs de la Ménippée ?) eût donc fredonné dès-lors son gai refrain :

  1. I deputati volonterosamente partirono di ritorno alle lero case… (Davila, Stor. delle guerre civil. di Francia, 1644, in-fo, t. II, p. 356.)
  2. V. Le Grain, loc. cit., p. 269.