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LES ÉTATS DE LA LIGUE.

coup d’efforts pour retrouver, pour deviner leur nature sous l’étiquette de la rédaction officielle, sous la prose sèche des secrétaires. Seulement, dans la satire, tout est saisi en sa nuance, et aussitôt grossi, amplifié, par une malicieuse exagération. Je le répète, ces portraits sont presque de l’histoire, et en même temps ils sont plus que de l’histoire ; sous le ligueur, ils peignent l’homme ; derrière le type contemporain, il y a un caractère éternel : en sorte que ce hasard unique a été accordé à la Satire Ménippée, comme plus tard aux Provinciales, d’être en même temps un pamphlet et une bonne action aux yeux des contemporains, d’être en même temps un pamphlet et une œuvre durable aux yeux des générations suivantes. C’est que toutes les formes sont bonnes à la vérité.

Chose singulière ! si on se place à un point de vue exclusivement grave, si on ne tient compte que des discussions éloquentes, que des argumens sérieux, il se trouve que c’est encore la Ménippée qui l’emporte, sur les procès-verbaux des états. Quand Pithou, en effet, s’emparant à son tour, mais au nom de la raison, mais avec autorité, avec puissance, de cette arme que les Rapin et les Passerat avaient tout à l’heure maniée à l’aide de l’ironie et de l’enjouement ; quand il fait monter à la tribune ce député d’Aubray qui s’écrie : « J’aurois honte de porter la parole pour ce qui est icy du tiers-estat, si je n’estoy advoué d’autres gens de bien qui ne se veulent mesler avec ceste canaille, » alors Pithou, en cette longue et pressante harangue, se fait l’interprète ferme, élevé, naïf, honnête, loyalement passionné, de tout ce qu’il y avait en France de sentimens français. Le tableau qu’il retrace est si lamentable, les manœuvres qu’il dénonce sont si honteuses, en un mot, la cause qu’il soutient est si bien celle de la vérité, que la vérité lui prête une verve inconnue, et le fait se dégager des entraves de l’habitude et devancer la langue de son temps, Sans certains tours plus expressifs, sans certaines franchises de style, on se croirait en plein XVIIe siècle : c’est le bon sens prenant possession de l’éloquence. Aucun discours n’a été prononcé dans les états qui ressemble, même de loin, à celui-là. De là ressort un piquant contraste : l’assemblée de 1593 débute par des prétentions sérieuses et finit par le ridicule ; la Satire Ménippée commence au milieu des bouffonneries et s’achève par un morceau grave et entraînant. C’est la satire qui est une parodie pendant le prologue, c’est la réalité qui se trouve être une parodie au dénouement. Tel est le jeu et aussi la leçon de l’histoire.

Je m’arrête ; en abordant la Ménippée, on touche à des régions connues et pratiquées de tous ceux qui gardent le moindre culte aux premiers chefs-d’œuvre de notre littérature : je ne voulais aujourd’hui qu’appeler l’attention sur un curieux document, inconnu jusqu’ici et qui méritait d’être mis au jour. C’eût été cependant une tâche intéressante de poursuivre, dans ses détails, ce rapprochement de la comédie et des faits officiels. Selon nous, M. Bernard eût pu, sans compromettre la dignité de son rôle d’éditeur, ne point s’interdire cette comparaison piquante. Quoi qu’on fasse en effet, que ce soit là un acte de justice ou une impitoyable fatalité, ces deux publications