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HISTORIENS ESPAGNOLS.

comprimer les premiers mouvemens, en cherchant à reconnaître et à saisir les auteurs du tumulte. Cette mesure, généralement mal accueillie, donna un nouvel aliment à la fureur populaire, comme des gouttes d’eau jetées sur une fournaise ne font qu’aviver le feu.

« On remarquait, parmi les séditieux, un moissonneur, homme féroce et terrible. Un officier subalterne de la justice le reconnut et essaya de l’arrêter ; il s’ensuivit une rixe ; le paysan fut blessé ; ses compagnons accoururent en foule à son secours. Chaque parti fit de grands efforts, mais l’avantage resta aux montagnards. Quelques soldats de milice préposés à la garde du palais du vice-roi se dirigèrent vers le tumulte, que leur présence grossit au lieu de le calmer. L’air retentit de cris furieux. Les uns criaient vengeance ; d’autres, plus ambitieux, appelaient la liberté de la patrie. Ici c’était : Vive la Catalogne et les Catalans ! là : Meure le mauvais gouvernement de Philippe ! Formidables furent ces premières clameurs à l’oreille de ceux qu’elles menaçaient. Presque tous ceux qui ne les proféraient pas les écoutaient avec terreur, et n’auraient jamais voulu les entendre. L’incertitude, l’épouvante, le danger, la confusion, étaient égaux pour tous. Tous attendaient la mort par instans, car une populace irritée ne s’arrête guère que dans le sang. De leur côté, les rebelles s’excitaient mutuellement au carnage ; l’un criait quand l’autre frappait, et celui-ci s’animait encore à la voix de celui-là. Ils apostrophaient les Espagnols des noms les plus infâmes, et les cherchaient partout avec acharnement. Celui qui en découvrait un et le tuait était réputé par les siens vaillant, fidèle et heureux. La milice avait pris les armes, sous prétexte de rétablir la tranquillité, soit par l’ordre du vice-roi, soit par l’ordre de la municipalité, mais, au lieu de réprimer le désordre, elle ne fit que l’accroître.

« Plusieurs bandes de paysans, renforcées d’un grand nombre d’habitans de la ville, s’étaient portées sur le palais du comte de Santa-Coloma, pour le cerner. Les députés de la générale et les conseillers de ville accoururent aussitôt. Cette précaution, loin d’être utile au vice-roi, augmenta son embarras. Là fut ouvert l’avis qu’il ferait bien de quitter Barcelone en toute hâte, vu que les choses n’étaient déjà plus au point où il fut possible d’y porter remède. Pour le déterminer, on lui cita l’exemple de don Hugues de Moncada, qui, dans une circonstance analogue, s’était retiré de Palerme à Messine. Deux galères génoises à l’ancre près du môle offraient encore une espérance de salut. Santa-Coloma écoutait ces propositions, mais avec l’esprit si troublé que sa raison ne pouvait déjà plus