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DIPLOMATIE ÉTRANGÈRE.

la justice des prétentions du gouvernement anglais. La note adressée par M. Webster à lord Ashburton expose très longuement et très complètement la doctrine du gouvernement des États-Unis sur ce sujet. Rappelons sommairement les faits.

L’hiver dernier, le navire américain la Créole partit du port de Richmond pour la Nouvelle-Orléans, ayant à bord un planteur américain et cent trente-cinq esclaves. Dans le canal de Bahama, les esclaves se révoltèrent, tuèrent leur maître, prirent possession du navire, et le conduisirent dans le port anglais de Nassau. Le gouverneur anglais fit arrêter dix-neuf des esclaves, principaux auteurs de la révolte, et mit les autres en liberté, puis, sur des ordres venus du gouvernement de la métropole, libéra aussi ultérieurement les dix neuf esclaves qu’il avait d’abord retenus prisonniers. Le gouvernement des États-Unis protesta contre ce qu’il appelait une violation du droit de propriété de ses citoyens ; mais la doctrine bien arrêtée du gouvernement anglais en matière d’esclavage rendit et devait rendre cette protestation inutile.

M. Webster ne pouvait manquer d’appeler la discussion sur cette question, d’autant plus importante pour les États-Unis, que le cas qui l’a soulevée peut se représenter souvent, dans les mêmes occasions, dans les mêmes lieux, et avec les mêmes résultats. Les îles Bahama ne sont séparées de la côte de la Floride que par un espace de quelques lieues, et forment, avec cette côte, un long détroit rempli de petites îles et de bancs de sable qui ajoutent aux dangers, déjà très grands, de la navigation dans ces parages. Les navires qui veulent doubler le cap de la Floride sont donc souvent forcés de chercher refuge dans les ports de ces îles. Comme c’est par ce passage que les états de l’Atlantique communiquent avec le golfe du Mexique et le Mississipi, et que les produits de la vallée de ce fleuve trouvent un débouché jusqu’à la mer, les États-Unis doivent attacher la plus grande importance à la faculté d’en user librement.

La doctrine du gouvernement américain est ainsi exposée et résumée par M. Webster : « Un navire en pleine mer, à la distance de plus d’une lieue marine du rivage, est considéré comme portion du territoire de la nation à laquelle il appartient, et soumis exclusivement à la juridiction de cette nation… Un navire, disent les publicistes, bien qu’à l’ancre dans un port étranger, conserve la juridiction de ses propres lois… Telle est la doctrine de la loi des nations… Si un navire est jeté par le mauvais temps dans les ports d’une autre nation, personne ne prétendra que par cela seul la loi de cette nation doive s’appliquer à ce navire de manière à affecter les droits de propriété existant entre les personnes à bord… La loi locale n’aurait pas la vertu de faire de la chose d’un homme la chose d’un autre homme… La loi locale, dans ces cas, ne dissout aucune des obligations ou des relations légalement contractées ou légalement existantes, conformément aux lois de la nation à laquelle appartient le navire. »

Tel est l’argument fondamental que présente M. Webster. Ici, comme sur tous les points de cette controverse, le gouvernement américain paraît évi-