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CORDOUE ET SÉVILLE.

originaux du Koran, et, relique plus précieuse encore, un os du bras de Mahomet. Les gens du peuple prétendent même que le sultan de Constantinople paie encore un tribut au roi d’Espagne pour que l’on ne dise pas la messe dans l’endroit consacré spécialement au prophète. Cette chapelle est appelée ironiquement par les dévots le Zancarron, terme de mépris qui signifie mâchoire d’âne, mauvaise carcasse.

La mosquée de Cordoue est percée de sept portes qui n’ont rien de monumental, car sa construction même s’y oppose et ne permet pas le portail majestueux commandé impérieusement par le plan sacramentel des cathédrales catholiques, et dans son extérieur rien ne vous prépare à l’admirable coup d’œil qui vous attend. — Nous passerons, s’il vous plaît, par le patio de los naranjos, immense et magnifique cour plantée d’orangers monstrueux, contemporains des rois mores, entourée de longues galeries en arcades, dallée de marbre, et sur l’un des côtés de laquelle se dresse un clocher d’un goût médiocre, maladroite imitation de la Giralda, comme nous le pûmes voir plus tard à Séville. Sous le pavé de cette cour, il existe, dit-on, une immense citerne. — Du temps des Ommyades, l’on pénétrait de plain-pied du patio de los naranjos dans la mosquée même, car l’affreux mur qui arrête la perspective de ce côté n’a été bâti que postérieurement.

La plus juste idée que l’on puisse donner de cet étrange édifice, c’est de dire qu’il ressemble à une grande esplanade fermée de murs et plantée de colonnes en quinconce. L’esplanade a quatre cent vingt pieds de large et quatre cent quarante de long. Les colonnes sont au nombre de huit cent soixante ; ce n’est, dit-on, que la moitié de la mosquée primitive.

L’impression que l’on éprouve en entrant dans cet antique sanctuaire de l’islam est indéfinissable et n’a aucun rapport avec les émotions que cause ordinairement l’architecture : il vous semble plutôt marcher dans une forêt plafonnée que dans un édifice ; de quelque côté que vous vous tourniez, votre œil s’égare à travers des allées de colonnes qui se croisent et s’allongent à perte de vue comme une végétation de marbre spontanément jaillie du sol ; le mystérieux demi-jour qui règne dans cette futaie ajoute encore à l’illusion. L’on compte dix-neuf nefs dans le sens de la largeur, et trente-six dans l’autre sens, mais l’ouverture des arcades transversales est beaucoup moindre. Chaque nef est formée de deux rangs d’arceaux superposés dont quelques-uns se croisent et s’entrelacent comme des rubans,