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tales, des boules de verdures noirâtres : voilà les seuls objets qui s’offrent à vos regards pendant plusieurs lieues.

À la Luisiana, toute la population était étendue devant les portes et ronflait à la belle étoile. Notre calessine faisait lever des files de dormeurs qui se rangeaient contre le mur en grommelant et en nous prodiguant toutes les richesses du vocabulaire andalou. Nous soupâmes dans une posada d’assez mauvaise mine, plus garnie de fusils et de tromblons que d’ustensiles de ménage. Des chiens monstrueux suivaient tous nos mouvemens avec obstination, et ne semblaient attendre qu’un signe pour nous déchirer à belles dents. — L’hôtesse avait l’air extrêmement surpris de la tranquillité vorace avec laquelle nous dépêchions notre omelette aux tomates. Elle semblait trouver ce repas superflu et regretter une nourriture qui ne nous profiterait pas. Cependant, malgré les apparences sinistres du lieu, nous ne fûmes pas égorgés, et l’on eut la clémence de nous laisser continuer notre route.

Le sol devenait de plus en plus sablonneux, et les roues de la calessine s’enfonçaient jusqu’aux moyeux dans des terrains mouvans. Nous comprîmes alors pourquoi notre voiturin s’inquiétait si fort de notre pesanteur spécifique. Pour soulager le cheval, nous mîmes pied à terre, et vers minuit, après avoir suivi un chemin qui escaladait en zigzag les plans escarpés d’une montagne, nous arrivâmes à Carmona, lieu de notre couchée. Des fours où l’on brûlait de la chaux jetaient sur cette rampe de rochers de longs reflets rougeâtres qui produisaient des effets à la Rembrandt d’une puissance et d’un pittoresque admirables.

La chambre que l’on nous donna était ornée de mauvaises lithographies coloriées représentant différens épisodes de la révolution de juillet, la prise de l’Hôtel-de-Ville, etc. Cela nous fit plaisir, et nous attendrit presque : c’était comme un petit morceau de France encadré et suspendu au mur. Carmona, que nous eûmes à peine le temps de regarder en remontant dans la voiture, est une petite ville blanche comme de la crème, à laquelle les campanilles et les tours d’un ancien couvent de religieuses carmélites donnent une tournure assez pittoresque : voilà tout ce que nous en pouvons dire.

À partir de Carmona, les plantes grasses, les cactus et les aloès, qui nous avaient abandonnés, reparurent plus hérissés et plus féroces que jamais. Le paysage était moins nu, moins aride, plus accidenté ; la chaleur avait perdu un peu de son intensité. Bientôt nous attei-