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ESSAIS D’HISTOIRE LITTÉRAIRE.

sacs d’écus à jours fixes comme un fermier normand, elle est de trop noble origine pour souffrir qu’on la rende taillable et corvéable à merci. Elle se révolte, et, si sa révolte est comprimée, elle se dégrade. Ainsi, la vanité et le désir du gain sont les deux fléaux de notre littérature. Ces fléaux, que nous rencontrerons sans cesse et que nous ne nous lasserons jamais de signaler, se sont exercés, on doit le reconnaître, sur de belles intelligences. Il est certain que toutes les expériences faites par nos pères et par nous-mêmes dans des années si peu nombreuses et cependant suffisantes pour nous faire voir l’impuissance de tant d’hommes et la vanité de tant de choses, ont développé chez la plupart des esprits de notre temps des facultés nouvelles de comprendre et de sentir. Ces facultés ont trouvé dans le roman de mœurs une de leurs applications les plus naturelles. L’homme que nous étudierons le premier est un de ceux qui avaient reçu au plus haut degré la puissance de sonder les caractères et de faire pénétrer une lumière saisissante dans leurs plus intimes profondeurs.

Le nom de M. de Balzac, puisque c’est de lui qu’il s’agit, vient d’être rappelé récemment au public par une entreprise, car je ne sais de quel autre terme appeler cette publication bizarre, où se confondent de la façon la plus malheureuse les deux esprits dont nous venons de parler, l’esprit de spéculation et l’esprit de vanité. Peut-être sera-t-il utile de faire remarquer à la librairie, en ce moment où elle pousse des cris de détresse, avec quel aveuglement elle dirige la plupart de ses efforts. Elle ressemble à ces gouvernemens inintelligens qui méconnaissent la force, la jeunesse et l’avenir, pour se livrer à une classe d’hommes affaiblie et corrompue. Tandis qu’elle redouble envers la vaillante cohorte des nouveaux venus ses plus décourageantes duretés, elle prodigue aux gens épuisés par de longues années d’une production hâtive des faveurs presque extravagantes. Ce qui jadis était réservé aux seuls chefs-d’œuvre de notre langue, le luxe des caractères et surtout le luxe des gravures, est employé maintenant dans le but de réveiller le public de son indifférence pour des ouvrages qu’il a repoussés toujours, ou sur lesquels sa curiosité est depuis long temps blasée. Le crayon du dessinateur doit constater le succès de l’écrivain, non point militer pour ce succès. Si, au lieu de donner une consécration nouvelle à des passages consacrés déjà par l’admiration générale, les images qu’on place dans un livre ne sont là que pour commenter le texte, quelquefois même pour le suppléer, elles nous reportent aux âges les plus grossiers