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de l’art. Telles sont les réflexions que nous a inspirées le livre où M. de Balzac a rassemblé, rajeunies par tous les gracieux artifices de l’illustration contemporaine, des œuvres évoquées de la retraite des in-octavo et des catacombes du feuilleton. Cependant, si la dernière publication de M. de Balzac n’était qu’une spéculation maladroite, nous la passerions sous silence ; mais, à côté de la question commerciale, elle soulève de nouvelles questions littéraires. Le titre seul, la Comédie humaine, révèle une des plus audacieuses prétentions qui se soient encore produites de nos jours, et je ne sais rien qui puisse surpasser en bizarrerie la préface par laquelle cette prétention est soutenue. Non, M. de Balzac ne se trompe pas quand il représente sa vie tout entière aboutissant à la Comédie humaine ; cette entreprise est tellement le terme fatal où l’ont conduit les écarts de son talent, qu’en le suivant dans sa carrière littéraire, nous verrons chacun de ses pas l’en rapprocher d’une façon inévitable. L’incroyable préface où il se déclare le législateur du siècle qu’il vient de doter d’une nouvelle édition de ses œuvres résume d’une manière si frappante toutes ses ambitieuses folies, que nous réserverons pour conclusion de ce chapitre l’examen de ce curieux morceau.

En 1834, un écrivain qui s’est fait dans la critique une réputation de tendre et spirituelle indulgence consacrait à M. de Balzac quelques pages de ce recueil. La Recherche de l’absolu venait de paraître. L’écrivain dont nous parlons, tout en félicitant l’auteur de ce livre d’un succès qui fixait définitivement sur lui les regards de la foule, lui rappelait avec une discrétion mélancolique les épreuves douloureuses d’un passé encore récent, et lui donnait quelques conseils bienveillans pour l’avenir. M. de Balzac était alors à cette grave époque de la vie littéraire où l’opinion se forme sur votre compte, où le public vous constitue en estime une espèce de dot sur laquelle il ne revient plus qu’avec des difficultés presque invincibles, surtout quand on veut la lui faire augmenter. Les gens arrivés à cet endroit de leur carrière ressemblent à des enfans qui viennent de toucher leur part de l’héritage paternel. Il faut qu’ils réfléchissent mûrement sur la manière dont ils vont gouverner la fortune qu’on vient de leur confier. S’il est peu d’hommes qui sachent gérer leur argent, il en est moins encore qui sachent gérer leur renommée. Cette réputation dont on s’est promis mille jouissances chimériques, dont on a fait le but suprême d’une vie où l’on a supporté et vaincu pour elle seule toutes les douleurs de la pensée ; cette réputation, quand on la re-