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FEU BRESSIER.

Léopold. — Je ne suis pas assez lié avec lui pour lui emprunter cent sous.

Édouard. — Ah bien ! alors j’ai fait une jolie chose.

Léopold. — Comment ? Qu’as-tu fait ?

Édouard. — C’était pour te tirer d’embarras. Dès ce soir, j’en ai bien peur, tu pourras rendre le louis à notre hôte.

Léopold. — Mais explique-moi… Ah ! mon Dieu ! voilà que l’on part.

Léopold s’approche de Mme Lagache, qui dit adieu à la maîtresse de la maison, et la prie d’attendre qu’il fasse chercher une voiture. La maîtresse de la maison sourit ; Mme Lagache répond qu’elle préfère s’en aller à pied, qu’il fait un temps magnifique, qu’elle demeure à deux pas, etc. Léopold insiste, dit en plaisantant qu’il est fatigué, qu’il a beaucoup dansé, que ces deux pas qu’il y a à faire sont au-dessus de ses forces. Mme Lagache répond sérieusement qu’elle ira à pied, que d’ailleurs, si M. Léopold est trop fatigué pour l’accompagner, M. Millin, qui demeure auprès de chez elle, voudra bien accepter cette corvée. Léopold se résigne. M. Millin, qui a entendu Mme Lagache, sort en même temps qu’eux et les accompagne jusqu’à la porte de Mme Lagache.

Léopold, qui est furieux, ne peut même se plaindre ; il se contente de prendre un air superbe et indifférent, de tenir le bras sur lequel s’appuie Mme Lagache le plus loin de lui qu’il peut ; il ne prononce pas un mot. Mais comme on entre dans la rue de Mme Lagache, comme on voit déjà la lanterne qui est en face de la porte, il se ravise, il lui presse le bras contre son cœur, il lui demande quand il la verra, il remarque que cette soirée a bien vite passé. Mme Lagache, à son tour, endosse les airs dédaigneux que vient de dépouiller Léopold ; elle retire son bras, le pose à peine sur celui de Léopold. Je suis sûr que le bras de Mme Lagache ne pèse pas à ce moment autant qu’une plume de chardonneret.

On arrive, M. Millin frappe, on ouvre, Mme Lagache entre, Léopold referme la porte dont le bruit retentit dans son cœur. Il répond à peine à M. Millin, qui l’accompagne encore quelque temps, et il rentre chez lui désespéré et furieux. Lorsqu’Édouard avait vu l’embarras de Léopold, il avait pensé qu’il fallait le sauver à tout prix, il avait été inviter Mme Lagache à danser ; elle avait répondu qu’elle ne danserait plus, qu’elle était fatiguée. Édouard avait frémi pour son ami à ce mot. Espérez donc de reconduire à pied une femme qui est trop fatiguée pour danser ! Il