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Lomelli, le hardi Brigand, ou la Caverne de la Vengeance ; — La Main mystérieuse, ou les Horreurs souterraines.

Cornélie savait bien qu’elle était belle et qu’elle avait dans la vie droit à un roman ; elle y était parfaitement préparée. Elle aimait Seeburg ; leurs deux ames s’étaient épanouies ensemble comme deux fleurs sur la même tige. Mais Paul ne ressemblait à aucun des amoureux qu’elle eût jamais vus. Ce n’était pas Ludomir, c’était encore moins Albano. L’amoureux des romans est un gaillard audacieux dont les filles ne sauraient trop se défier. La stratégie qu’avait apprise Cornélie était donc toute défensive. Elle avait en magasin des myriades de refus pour toutes les circonstances : c’était une marchandise assez embarrassante vis-à-vis d’un homme qui ne demandait jamais rien.

Certes, Cornélie ne pouvait douter un moment que Paul ne fût amoureux d’elle ; elle avait surpris cent fois ses yeux attachés sur elle ; elle l’avait senti trembler en lui pressant la main pour passer un ruisseau ; elle avait vu ses complaisances inouies pour toute la maison. Lui qui ne riait guère d’habitude riait aux éclats des plaisanteries de M. Morsy ; il compatissait aux chagrins un peu vulgaires de Mme Morsy. Il déplorait la perte d’un poulet volé par un chat, ou la désobéissance d’un domestique, ou une tache de bougie sur un meuble.

Elle savait bien, par ce qu’elle connaissait de ses occupations, qu’il n’allait jamais autre part que chez eux. Elle s’était aperçue que ses courses, de quelque côté qu’il eût affaire, le faisaient toujours passer par la rue qu’ils habitaient. Elle le voyait changer de couleur si un homme lui parlait un peu bas. Elle avait remarqué qu’il était silencieux et embarrassé lorsqu’il se trouvait seul avec elle ; sa présence, quand elle était avec d’autres personnes, lui donnait plus de vivacité et d’esprit. Elle avait un peu essayé de mettre son ame dans le ciel et dans l’enfer successivement, dans l’espace d’une minute, par un mot bienveillant ou un air dédaigneux ; en un mot, elle savait qu’il l’aimait de toutes les forces de son ame. Mais il n’en est pas moins vrai qu’il ne faisait pas de déclaration ; que, dans tout ce qu’elle avait lu sur l’amour, il y avait une infinité de choses, et des plus charmantes, qui ne venaient chacune en son rang qu’après la déclaration. La déclaration d’amour est comme la déclaration de guerre ; elle doit précéder les premières attaques et les premières hostilités.

Un jour, à la campagne, Seeburg perdit un portefeuille, et Cornélie le trouva. Je ne vous dirai pas combien de fois et de combien de manières elle se dit à elle-même qu’elle n’avait pas le droit de violer