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rentrait chez lui se coucher pendant quatre heures, puis il se mettait en route pour la campagne de M. Morsy, à pied, car ses finances ne lui permettaient guère l’usage des voitures ; il repartait après le déjeuner, s’il y avait opéra le soir ; dans le cas contraire, il partageait la chambre d’Ernest, et ne repartait que le lendemain.

Un jour qu’il n’y avait pas de spectacle, il arriva pendant qu’on était à table ; il se promena dans le jardin, plus heureux peut-être d’y attendre Cornélie, qu’il ne l’avait été la veille de s’y promener avec elle. Près d’elle, en effet, il éprouvait dans son cœur une lutte incessante ; il voulait parler, et ne l’osait pas. Il ressemblait au coupable qui voudrait arrêter la voix du juge qui va lire sa sentence. Le jour s’éteignait, il entra dans un salon qui donnait sur le jardin, et s’y assit dans un fauteuil ; comme il se livrait délicieusement à ses rêveries, Cornélie entra. — Il y a du monde à dîner, lui dit-elle, ce sont des hommes, mon père et Ernest prennent le café avec eux ; moi, je me suis échappée, je vous avais vu entrer, et j’ai laissé M. Redort au milieu d’une histoire qu’il avait annoncé devoir être extrêmement divertissante.

Il se fait quelquefois de singulières opérations dans l’esprit des amoureux. On sait l’histoire d’un soldat qui, au moment où les trompettes donnaient le signal du combat, retourna à sa tente, en disant : Tiens ! j’ai oublié ma montre ! C’est à peu près ce que fit Seeburg : il était seul avec Cornélie, presque dans l’obscurité ; l’obscurité augmente l’audace des amans de tout le courage qu’elle ôte aux autres hommes. Il fallait enfin lui parler de son amour ; ne pas lui déclarer qu’il l’aimait dans une occasion aussi rare, aussi favorable, qu’il appelait depuis long-temps de tous ses vœux, c’était à peu près lui déclarer qu’il ne l’aimait pas. Cornélie, de son côté, espérait entendre enfin ces paroles tant attendues ; cependant, lorsqu’elle croyait que Paul allait les prononcer, elle avait peur, et elle disait quelque chose au hasard pour retarder un moment qu’elle désirait de toute son ame quand il semblait éloigné, qu’elle redoutait horriblement quand elle le voyait s’approcher.

Paul, en l’entendant parler de M. Redort, s’avisa de lui faire une querelle.

Seeburg. — Vous sembliez cependant, l’autre soir, prendre plaisir à l’entendre.

Cornélie. — Quel autre soir ?

Seeburg. — Avant-hier. Après cela, c’est un jeune homme très gai, très spirituel.