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Decazeville et Alais, par un privilége du sol, sont assis sur un terrain houiller et métallifère en même temps. Aussi M. Talabot les compare-t-il au pays de Galles et au Staffordshire, dans l’enthousiasme que fait naître en lui l’aspect de ces deux belles positions.

Dans l’ordre de la nature comme dans la situation présente de l’industrie, les forges belges n’ont donc aucun avantage réel sur les forges françaises. Les prix sont ou doivent être les mêmes dans les usines ; la différence ne se fait remarquer que sur les marchés qui servent de centre à la consommation, et n’est qu’une question de transports. Dans l’état actuel de nos voies de communications, les rails belges, pour arriver à Paris, n’ont à supporter que 25 à 30 fr. de frais par tonne ; ceux du Creuzot auraient à payer 45 à 50 fr. par tonne ; ceux de Decazeville et de Terre-Noire 70 fr., et ceux d’Alais 80 fr. L’avantage des fers de Couillet sur les fers français serait donc de 20, de 40 et de 50 fr. par tonneau.

Cette proportion ne peut manquer de changer, à mesure que l’on achèvera nos voies artificielles de navigation ; mais, pour le moment, et en admettant la suppression immédiate des barrières commerciales entre la France et la Belgique, on aurait les résultats suivans : Pour les chemins du nord de la France, les usines belges fourniraient les rails, sans autre concurrence possible que celle d’Hayange et de Denain, qui lutteraient plus facilement désormais, pouvant s’approvisionner en Belgique du minerai dont la sortie est aujourd’hui prohibée ; les chemins de fer du midi de la France seraient approvisionnés exclusivement par Decazeville et Alais ; Alais, Terre-Noire et le Creuzot auraient la fourniture des chemins de l’est, jusqu’à ce que les usines de la Champagne leur fissent concurrence ; et tant que les usines du Berri ne fabriqueraient pas le fer à la houille, tant que l’on continuerait à repousser les fers anglais, Decazeville aurait encore dans son département les chemins de l’ouest. À tout prendre, le lot de nos grandes usines serait encore assez beau.

On élève deux objections contradictoires contre l’introduction des fers belges en France. D’une part, on nous dit que la différence entre les prix de revient en France et les prix de revient en Belgique n’est pas assez sensible pour qu’il en résulte une économie de plus de 50 francs par tonne pour le consommateur ; de l’autre, on nous fait craindre que les usines belges n’écrasent les nôtres par une baisse extraordinaire dans le prix vénal de leurs produits. De deux choses l’une, cependant : ou la baisse sera réellement considérable, et la consommation en profitera ; ou elle sera insignifiante, et dans ce cas la solidité de notre industrie métallurgique n’en sera pas ébranlée. Il ne se peut pas que nous soyons affligés à la fois du double malheur de payer le fer à haut prix et de voir nos usines s’abîmer.

Parlons sérieusement. Nos maîtres de forges ne redoutent ni la supériorité industrielle des Belges, ni la puissance des élémens dont ceux-ci disposent pour la production. Tous leurs argumens peuvent se réduire à celui que