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REVUE. — CHRONIQUE.

besoin : le spécifique est bon, efficace ; la dose en est trop faible. Il faudra toucher de nouveau au tarif, et à celui des céréales, et au tarif général. Les négociations, les traités n’aboutiront à rien de décisif. C’est en abaissant ses barrières que l’Angleterre forcera indirectement le monde entier à baisser les siennes. Par ce moyen, le marché anglais s’étendra, il s’étendra pacifiquement, et la douane, réduite à peu près à ce qu’elle doit être, à un impôt, comblera largement tous les vides de l’Échiquier.

On est fatigué d’avoir toujours à répéter qu’il n’y a rien de fait au sujet de l’administration de la Syrie. Les Turcs n’ignorent pas que tout ce qui de près ou de loin paraît toucher à la question d’Orient alarme et embarrasse les puissances européennes plus que la Porte elle-même. Ils profitent habilement de la gêne et de la timidité de la diplomatie chrétienne. Il en sera de même probablement pour la Servie. L’Autriche apporte dans toutes ces questions une lenteur et une prudence extrêmes. La Russie, dans la personne de son empereur, voyage, met la main à beaucoup de choses et n’en fait aucune. On appelle cela habileté, finesse, profondeur : soit. C’est une habileté dont on peut fort bien s’accommoder, pourvu toutefois qu’on ne soit pas sujet russe, surtout sujet catholique.

À l’égard de ceux qui ne veulent pas d’un czar pour pape, il n’y a, à ce qu’il paraît, d’autre habileté en Russie que la force, que la violence. C’est sans doute là un de ces grossiers plagiats dont le gouvernement russe, depuis Pierre-le-Grand, a déjà donné tant d’exemples à l’Europe. On aura parlé d’unité nationale, on aura rappelé Louis XIV, la révocation de l’édit de Nantes, que sais-je ? Le fait est qu’on y est aux prises avec Rome. Rome n’est pas impuissante, même de nos jours, lorsqu’elle a pour elle la raison et le droit. Si la Russie a des baïonnettes, des prisons, des déserts, Rome a dans le monde entier des prêtres, des confessionnaux, des églises ; si la Russie a des journaux, Rome a des chaires. Si les cabinets ménagent la Russie, les peuples écoutent les plaintes du pontife, car aujourd’hui l’opinion publique est impartiale, même à l’endroit de Rome. Ce n’est plus le temps où la philosophie mendiait, par de honteuses flatteries, une protection nullement sincère à Saint-Pétersbourg et à Berlin. Ces pitoyables comédies ne sont plus de saison. Que Rome essaie de nous ramener au moyen-âge, ou qu’elle renouvelle le pacte qu’elle eut le malheur de signer au XVIe siècle avec le pouvoir absolu, l’opinion publique se retire d’elle et fait route à part. Que Rome, au contraire, reconnaisse et sanctifie le développement légitime de l’humanité, qu’elle plaide les droits de la foi et de la conscience, l’alliance de la religion et de la liberté, alors l’opinion publique est avec elle, et se moque de ceux qui voudraient encore l’effrayer avec les mots de prêtre, de superstition, de sacristie. C’est là le vrai.

Au fait, le moment est grave pour Rome. Elle se trouve en présence de deux ordres de gouvernemens, de principes, d’idées, le gouvernement absolu et le gouvernement constitutionnel, chacun avec ses tendances et ses conséquences. Rome, associée, j’ai presque dit asservie, depuis trois siècles au