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On ne voit pas ce que fait le parti carliste ; à coup sûr cependant, il ne dort pas. Quant aux modérés, ils soutiennent avec intrépidité dans leurs journaux leur lutte morale contre le gouvernement. Toutes ces passions bouillonnent dans le calme du pays. Une occasion d’éclater va se présenter bientôt ; il est possible qu’elles la saisissent.

Le gouvernement aurait été charmé de se passer long-temps des cortès ; il ne l’a pas pu. La pénurie des finances est arrivée à un point qui passe toute idée. Il n’y a rien absolument dans les caisses publiques. Le régent lui-même se plaint d’être obligé de faire face, avec la fortune de sa femme, à la plus grande partie de ses propres dépenses. Le ministre des finances a commencé par convoquer tous les jours des capitalistes et des banquiers pour délibérer avec eux sur les moyens de se procurer de l’argent. Tous les expédiens se sont trouvés usés, et il n’y a pas eu d’autre moyen que de convoquer les chambres. Le jour fixé pour cette réunion approche, c’est le 14 novembre. Il n’y aura eu, entre les deux sessions, qu’un intervalle de quatre mois.

Déjà les députés commencent à revenir à Madrid, et la coalition, déjouée par l’avènement du ministère Rodil, tend à se reformer. Cette coalition n’est dirigée, à proprement parler, que contre le ministère, puisqu’elle compte dans son sein M. Olozaga, qui est un des serviteurs du régent les plus compromis. Son autre chef, M. Cortina, vient aussi de publier une déclaration de principes extrêmement modérée. Il faut cependant qu’Espartero comprenne que son autorité court quelque risque, puisqu’il n’a pas voulu céder à une première sommation. Aujourd’hui encore on se demande ce qui arrivera si le congrès renouvelle contre le ministère actuel une démonstration semblable à celle qui a renversé le ministère Gonzalès. Le régent consentira-t-il cette fois à appeler aux affaires MM. Cortina et Olozaga ? Les cortès seront-elles dissoutes et les colléges convoqués de nouveau pour des élections générales ? Enfin, le duc de la Victoire ira-t-il jusqu’à mettre de côté toute forme légale, et jusqu’à s’emparer hardiment, ouvertement, de la dictature militaire ?

Ce sont là les questions qui se débattent actuellement. Nous verrons ce qui en sortira. On a cru un moment que l’intention secrète du gouvernement était de provoquer un pronunciamiento en faveur de la constitution de 1812 ; ce bruit paraît au moins prématuré. La proclamation de la constitution de 1812 aurait eu pour but de retarder l’époque de la majorité de la reine. Par la loi actuelle, la reine sera majeure à quatorze ans ; par celle de 1812, elle n’est majeure qu’à dix-huit. Il est bien probable en effet que, quand l’époque de la majorité approchera, les ayacuchos chercheront à prolonger la régence. Mais ce n’est pas là une question pressante ; la reine n’aura quatorze ans que dans deux ans. N’a-t-on pas d’ailleurs la ressource de convoquer des cortès constituantes pour résoudre cette difficulté, spéciale, sans toucher au reste de la constitution de 1837 ? Au fond, la constitution de 1812 n’a rien à faire avec les embarras du moment. Il est vrai que ce n’est pas une raison pour qu’on ne le proclame pas, quand ce ne serait que pour avoir l’air de faire quelque chose.