Page:Revue des Deux Mondes - 1842 - tome 32.djvu/608

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
604
REVUE DES DEUX MONDES.

nous semble péremptoire, et pourrait néanmoins être appuyée par plusieurs autres. C’est à regret que nous l’adressons à M. de Fréminville : nous aimerions à pouvoir lui faire une concession qui imprimerait au front de Du Guesclin l’éclat d’une grandeur nouvelle, et nous comprenons fort que, portant à l’ordre du Temple un dévouement filial, M. de Fréminville attache du prix à faire intervenir la grande figure du connétable entre Jacques de Molay et M. Fabré-Palaprat.

Mais si l’histoire peut conserver quelques doutes sur la secrète pensée qui poussait Du Guesclin vers cette terre d’Orient, d’où viennent toutes les grandes gloires[1], elle n’en entretient aucun sur le but que se proposait Charles V en favorisant cette entreprise, et en pourvoyant amplement son général des moyens de l’exécuter. Esprit froid et tout pratique, ce prince n’aspirait point, comme la plupart de ses contemporains, à l’honneur d’une nouvelle croisade qui l’aurait détourné de la grande entreprise à laquelle il avait voué sa vie. L’on put en acquérir la preuve en le voyant substituer brusquement le plan d’une campagne toute politique au-delà des Pyrénées au projet primitif d’une expédition religieuse en Chypre et en Syrie. Un seul mobile agissait sur ce monarque, une seule pensée dominait son ame : organiser la France, y fonder l’ordre matériel sur la prépondérance du pouvoir royal, absorber en celui-ci toutes les forces féodales et militaires, devenues tour à tour ou des instrumens d’insurrection contre le trône, ou des instrumens d’anarchie contre la société elle-même.

On sait qu’au xive siècle, l’état militaire du royaume se composait de deux élémens : d’une part, les gens de guerre appartenant au domaine de la couronne, et ceux que les grands vassaux étaient tenus de mener au roi sous peine de forfaiture ; de l’autre, les hommes libres pour qui la guerre était une profession, dont l’épée se vendait à qui voulait en payer l’usage, et que le souverain prenait temporairement à sa solde, sous des conditions déterminées. Ces soldoyers ou soldats s’engageaient, soit directement avec le prince lui-même, soit avec des chevaliers auxquels on délivrait des commissions de capitaines, et qui se chargeaient eux-mêmes, moyennant un prix convenu, de l’équipement des hommes engagés au service de la couronne. Le pacte féodal, ou du moins les usages universellement consacrés, n’imposaient aux vassaux et arrière-vassaux qu’un service

  1. Napoléon.