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et leur pierre tumulaire ne se distingue que par la simplicité. Depuis long-temps sa délicatesse avait été blessée de nos sottises funèbres. « Les cimetières, dit-il quelque part, sont impertinens et absurdes. Leurs éloges fastidieux me soulèvent le cœur, et leurs avertissemens insolens me paraissent des outrages. Ces familiarités de la mort sont déplacées, elles me forcent à me sauver de ces promenades mortuaires où le ridicule des vivans coudoie le ridicule des cadavres. — Vous me dites, monsieur le mort, que la vie est courte ! — Je le sais parbleu bien ! — Que toutes les vertus vous étaient tombées en partage ! — Grand bien vous fasse ! — Que je mourrai demain ! — Non pas, mon cher mort ; pas si tôt que tu penses. Je vis encore ; me voici debout. J’en vaux trente comme toi. Respectez les vivans, monsieur le mort ! »

Si l’on trouve cette familiarité bizarre, j’ai dit combien cette bizarrerie est profonde et ce style pur, concis, merveilleux. Du sein de cet incomplet et de cette nonchalance, il s’exhale un parfum de vérité, de simplicité et de sympathie qui enchante. Personne n’est moins homme de lettres, personne n’oublie plus entièrement l’écritoire et l’éditeur, personne n’est moins pédantesque. Que de souffrances intérieures, et de plaisirs cachés, et de larmes étouffées, et de voluptés intellectuelles, ont dû précéder et préparer ces délicieuses pages ! Lamb ne vous dit jamais que la moitié de ce qu’il a pensé. Il se contient et se ménage. Ce qu’il écrit, c’est l’involontaire émanation de ces longues et charmantes rêveries, le luxe exquis de son intelligence, non le produit brutal et matériel d’un métier qui s’apprend, se vend et se paie.

Mais, bon Dieu ! mon pauvre Lamb, que j’aime tant, qui a tant d’esprit, de profondeur, de sensibilité, de grace, dont les pages vivront plus long-temps que les discours de Fox, ne l’ai-je point trahi en voulant servir sa gloire ? Je n’ai pu le faire autre qu’il n’était, ni vous offrir à la place de cet humoriste M. Thomas de l’Académie française, lequel est bien plus régulier assurément. Lamb ne veut imposer à personne ; ce qu’il pense, il le dit ; il n’écrit que des fragmens, il n’a point fait de beaux livres ; on ne sait s’il raille ou s’il pleure, s’il a un but ou s’il n’en a pas. Cette vive et piquante essence d’un génie original ne s’est concentrée ou consacrée dans aucune forme solennelle. Puis, où le classer ? quelle place lui faire ? comment le juger d’un mot ? comment le nommer ? Artiste ? il n’a jamais péroré sur le beau dans les arts. Savant ? aucune dissertation n’est tombée de sa plume. Philologue ? je ne sache pas qu’un traité de grammaire