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REVUE. — CHRONIQUE.

toutes les formes, de pénétrer et de se développer en Orient, ce sont les gouvernemens européens qui l’arrêtent ou qui la laissent étouffer sous la stupide administration des Ottomans !

Non ; quelque mépris qu’on ait aujourd’hui pour toute grande pensée et pour toute idée généreuse, quelque soin qu’on mette à répudier l’héritage moral de nos pères et à se renfermer dans la sphère étroite des intérêts matériels, le public d’abord, les gouvernemens ensuite, ne pourront pas long-temps fermer l’oreille aux plaintes des populations chrétiennes et aux représentations des hommes pieux qui ne cessent de plaider leur cause en Europe. Il est pourtant des hommes aujourd’hui pour qui le titre de chrétien n’est pas un vain mot, une qualification stérile. Loin de là : un zèle éclairé les anime ; ils sentent profondément tout ce que la foi chrétienne inspire ; ils acceptent, avec un dévouement et une vivacité que rien ne peut amortir, les devoirs qu’elle leur impose, les sacrifices qu’elle demande. Sous des noms et des formes diverses, négrophiles, philhellènes, missionnaires, ils ont tout bravé pour réussir, même le ridicule dont a voulu les frapper, dans ses superbes dédains, l’esprit de calcul. Ils obtiennent tous les jours de nouveaux succès, parce qu’ils sont dans le vrai, parce qu’en servant la cause de la religion ils servent la cause de l’humanité, de la liberté, du progrès, que le monde est avec eux, qu’il marche avec eux, et que dans leurs travaux domine cette pensée d’avenir que les intérêts présens, si âpres et si cupides qu’ils puissent être, n’ont jamais pu étouffer au cœur de l’homme. Ils prendront en main, soyons en sûrs, la cause des populations chrétiennes qui se débattent en Orient contre une tyrannie qui n’est plus qu’un anachronisme monstrueux, et cette cause sera gagnée ainsi que l’a été celle des Grecs. Ajoutons que l’esprit chrétien se trouvera puissamment secondé par les circonstances impérieuses qui pèseront de plus en plus en Europe. L’Europe étouffe, et l’Orient, paisible et ouvert à notre civilisation, peut lui offrir un des plus riches marchés du monde. Sans doute c’est là en même temps la cause et l’explication des lenteurs, des perplexités, des tergiversations de la diplomatie. Si l’Orient n’était bon à rien, s’il ne pouvait être utile à personne, tous les cabinets rivaliseraient de zèle pour l’émancipation des peuplades chrétiennes. On voudrait alors, faute d’autres profits, avoir les honneurs de la philantropie et gagner les bénédictions des hommes religieux. Il n’en est pas ainsi. Chacun voit dans l’Orient, dans l’influence qu’on peut y exercer, dans les conquêtes qu’on pourrait y faire, des avantages considérables à recueillir pour sa propre puissance, pour son industrie et son commerce. Les moins entreprenans, les moins ambitieux, veulent du moins s’assurer que l’Orient ne deviendra pas la proie de leurs voisins, et que ce qu’on appelle l’équilibre européen ne se trouvera pas sérieusement altéré. Dès-lors on s’applique à reculer une difficulté qu’on ne sait pas résoudre. On attend avec anxiété le bénéfice des évènemens et du temps. Soit. Mais le monde, mais le commerce, mais l’industrie, ne sont pas, à beaucoup près, aussi contenus et aussi patiens. Ils suivent tête baissée le cours de leurs idées, la pente du siècle, en laissant à la politique