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uns se promènent en plein air, d’autres travaillent au jardin ; pour les jours de pluie, ils ont de larges corridors, une salle de jeu et un billard. Tout a été prévu avec une attention compatissante ; l’établissement est entretenu avec un soin admirable. En voyant cette maison élégante, ces salles fraîchement décorées, ces allées bordées d’arbres et de gazon, on oublie presque la misère dont elles sont l’asile ; et pourtant quelle misère ! La plupart des cas de folie enregistrés dans cet hospice sont produits par des chagrins de famille, par des habitudes d’ivrognerie, quelques-uns par l’exaltation religieuse, très peu par l’amour. J’ai vu là une malheureuse femme qui porte un nom français illustre, et que la mauvaise conduite de son mari, la perte de sa fortune, ont jetée dans cet asile de la douleur. Une autre, née dans une condition obscure, a perdu la raison en voyant la beauté de ses filles et en songeant aux dangers auxquels cette beauté les exposait. « Ah ! mes filles, s’écrie-t-elle sans cesse, mes chères filles, qui sont si pauvres et si belles ! » Et toutes les angoisses, tous les déchiremens, tous les amers regrets que l’amour peut produire dans leur cœur éclatent dans le cœur de la tendre mère. Une troisième, jeune encore, était entrée à l’hospice complètement folle ; un homme l’avait abandonnée après l’avoir séduite : elle est devenue mère, et le sentiment de la maternité lui a rendu la raison. Elle a quitté le monde abandonnée de ses amis, condamnée par les médecins ; elle va y rentrer avec le pâle enfant qui l’a guérie.

Dans une autre partie de l’édifice, on m’a montré un homme qui a eu une tragique histoire. Il occupait une place assez importante de juge dans un district de la Finlande ; il devint amoureux d’une jeune fille, et entretint avec elle des relations fatales. Un jour, la malheureuse fut traduite devant lui comme coupable d’infanticide. Le crime était avéré ; elle-même le reconnaissait, et le texte de la loi n’était que trop formel. Il signa la sentence d’une main défaillante, et tomba sur le parquet. Lorsqu’on le releva, il était fou. Dans la chambre voisine, un étudiant se balançait sur sa chaise, le visage pâle, l’œil hagard ; la débauche en avait fait un idiot. Plus loin, un pauvre prêtre de campagne murmurait d’une voix mélancolique des prières et des versets de la Bible. Les idées religieuses, les scrupules de conscience avaient renversé l’équilibre de son esprit.

Après avoir vu ces images vivantes de tant de misères, ces naufrages du cœur et de la raison, on a besoin de chercher au dehors, dans l’aspect salutaire de la nature, une distraction aux pénibles pensées qu’un tel tableau réveille dans l’esprit, et, ce jour-là, je m’en allais avec un nouveau charme errer le long des grèves de Helsingfors, comme si la captivité des malheureux que je venais de voir me rendait la liberté plus douce, comme si, au sortir de leurs cellules, l’azur du ciel était plus pur, les bois plus verts, l’espace plus large. Je ne connais pas d’ailleurs, après celle de Stockholm, une situation plus pittoresque et plus belle que celle de Helsingfors. Cette ville s’étend sur une vaste presqu’île, parsemée de collines agrestes et de frais vallons ; de tous côtés, la mer l’entoure comme une ceinture d’or et d’argent, émaillée