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« Ce n’était pas, disent les anciens poèmes, l’un des plus grands ni l’un des plus petits. Cependant sa tête touchait aux habitations de Tavaste, et sa queue à celles de Tornéo. Il fallait tout un jour à l’hirondelle pour voler d’une de ses extrémités à l’autre, et tout un mois à l’écureuil pour parcourir la distance qui séparait ses deux cornes. Du sein des vagues sortit un petit homme, haut de trois pouces tout au plus, qui s’élança sur la tête du bœuf et le tua. On en retira six tonnes de graisse et des flots de sang qui remplirent sept bateaux. »

Wæinemœinen s’en va sur sa barque à la recherche du feu, avec un filet de chanvre. Il trouve un poisson et ne peut le saisir. Un petit homme noir, portant des souliers de pierre, un casque de roc, des cheveux qui lui tombent sur les talons et une barbe épaisse, surgit du milieu des vagues, s’empare du poisson, trouve dans ses entrailles un saumon, dans le saumon un brochet, dans le brochet un hareng, dans le hareng un peloton rouge, dans le peloton le feu.

L’orage est représenté sous la forme d’un aigle au bec enflammé, aux yeux étincelans, qui, d’une de ses ailes, couvre la surface d’un lac, et de l’autre voile l’azur du ciel. La guérison des maladies vient d’un petit oiseau, le plus léger, le plus faible de tous les oiseaux, qui s’en va au-delà des mers chercher la boisson qui réconforte les sens et le baume qui ferme les blessures. On l’appelle Méhilæinen. C’est le symbole le plus gracieux de toute cette rude et sauvage mythologie. Il y a aussi un grand sentiment de poésie et une mélancolie touchante dans les différens mythes de Wæinemœinen. C’est lui qui a révélé aux hommes l’harmonie du rhythme et du chant. C’est lui qui leur a donné la harpe comme un instrument de joie et de consolation, pour célébrer leur amour et calmer leur douleur. C’est lui qui a créé le monde et qui le soutient. Nous verrons, dans l’analyse du Kalewala, les diverses facultés et les évènemens que la croyance populaire lui attribuait.

Long-temps les chants traditionnels, les chants cosmogoniques et théogoniques de la race finlandaise restèrent enfouis dans la demeure du paysan. Le vieillard les disait le soir à sa famille assemblée autour du poêle ; le pêcheur les modulait en voguant le long des fleuves. Les gens lettrés, qui seuls auraient pu les recueillir et en assurer, par l’imprimerie, la fixité, les gens lettrés les dédaignaient. Leurs regards, fascinés par le prestige des beautés antiques, ne distinguaient plus les humbles fleurs de la montagne et de la bruyère ; leur oreille n’entendait que l’harmonie de l’iambe grec ou de l’hexamètre latin. Il a fallu que le génie national s’égarât comme un voyageur à travers les différens points de vue des contrées étrangères avant de revenir aux trésors amassés, comme ceux de Sigfried, dans les forêts de sa terre natale. Il a fallu qu’il fît, comme un étudiant aventureux, le tour de toutes les écoles avant de rentrer dans la grande et sainte école où le rappelait la voix de ses pères, où la harpe des temps anciens vibrait, comme celle d’Ossian, dans les nuages du passé, où la muse du peuple chantait son hymne solennel auprès de son berceau.

Lorsque Gannander écrivit son dictionnaire mythologique, il ne connaissait