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son beau-frère, le comte Andreas-Pierre de Bernstorf, alors veuf de sa sœur aînée. — En 1788, Léopold Stolberg perdit sa femme, après six ans de mariage, et cette mort porta toutes ses idées vers la dévotion. Après une jeunesse orageuse et quelque peu relâchée, Léopold avait trouvé le calme dans cette union avec une noble et excellente personne qu’il adorait ; cette alliance une fois rompue, la fougue inquiète de sa nature se réveilla, et, comme il arrive presque toujours, se tourna vers d’autres fins extrêmes. Ses idées devinrent dogmatiques, et peu à peu il inclina au catholicisme, qu’il finit par embrasser avec une ardeur de prosélyte dont toute l’Allemagne fut émue. Une pareille conduite ne pouvait que déplaire à tous ses amis, qui ne tardèrent pas d’accueillir avec toute sorte de sarcasmes les tendances ultramontaines de leur ancien compagnon de plaisir. Je trouve dans la correspondance de Goethe avec Schiller, ainsi que dans le Xenies, petit recueil de satires et de bons mots qu’ils décochèrent en commun, on le sait, contre les travers de leur temps, littéraires et autres, plus d’une allusion mordante aux circonstances, plus d’un grêlon perdu de cette averse épigrammatique. Goethe haïssait trop ouvertement le mysticisme pour ne pas condamner dans l’ame toute espèce de tentative faite de ce côté.

Cependant, autant qu’il le put, il se tint éloigné de la querelle. Quelques lignes égarées dans l’ensemble de ses poésies[1], et dont on ne saisit le sens qu’à la condition de se reporter vers les débats théologiques de cette époque, prouvent seulement à quel point lui répugnaient toutes ces controverses qui ne servent qu’à fomenter les animosités et la discorde. Du reste, il observa sa règle de conduite ordinaire, qui consistait à laisser faire et dire, et à méditer silencieusement sur ce qui se passait. Religion ou politique, il avait, à l’égard de toute polémique violente, une passivité dont il ne se départait pas. Alors comme aujourd’hui, les hommes du mouvement, de la presse quotidienne comme on dit, lui faisaient un crime de son indifférence. Lui, qui doutait de tout hormis de la raison humaine et de l’art, retournait en souriant à son œuvre, à cet Albambra merveilleux qu’il construisait à distance des orages du siècle, et s’occupait, tandis que les autres s’entredéchiraient, à creuser pour les mille sources jaillissantes de sa fantaisie des lits de cailloux fins sous des bosquets de myrtes et de lauriers-roses.

La famille Stolberg, originaire du Holstein, appartenait à ce protes-

  1. Voir la pièce intitulée : Voss contra Stolberg.