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le sein de ta nourrice. Un époux viendra te chercher, tu auras un pied sur le seuil de ta demeure, un autre dans son traîneau. C’était là le rêve de mon cœur, l’espoir de mes années fleuries. Maintenant mon départ approche, mon espérance se réalise. J’ai un pied sur le seuil de ma demeure, un autre dans le traîneau de mon époux. Cependant je ne m’en vais pas avec joie, je ne quitte pas avec bonheur la maison d’or où j’ai passé ma jeunesse. Je m’éloigne et je pleure. Ma mère bientôt n’entendra plus ma voix, mon père ne verra plus mes larmes. Comment les autres fiancées peuvent-elles être gaies ? Comment leur cœur peut-il être dans ce moment joyeux comme une aurore de printemps ? Moi, je suis triste comme le pauvre cheval que l’on vend, comme la pauvre jument que l’on emmène. Ma pensée est sombre comme une nuit d’automne, sombre comme une obscure journée d’hiver ! »

La mère alors prend la parole, la console et lui donne des avis. Tout ce chant est comme une idylle charmante, tantôt pleine d’une grace naïve, tantôt parsemée de détails domestiques qui peignent avec vérité les mœurs actuelles de la Finlande. « Ne t’afflige pas ainsi, lui dit-elle. On ne t’emmène pas dans un marais, on ne te conduit pas dans un ruisseau. Tu as épousé un homme excellent, un guerrier hardi, un habile forgeron, un maître de maison qui mange un pain pur, et qui en donnera à sa femme un plus pur encore, un chasseur qui s’en va sur les bruyères désertes, dans les forêts, et ne laisse pas ses chiens dormir sur la paille. Trois fois déjà, dans ce printemps, il a préparé le bain de vapeurs, trois fois il a peigné sa chevelure, trois fois il s’est essuyé le corps avec des branches sèches.

« Ne t’afflige pas ainsi, ne t’épouvante pas de quitter ta mère. Ton époux possède de grands troupeaux, cent bêtes à cornes, mille bêtes aux mamelles pesantes, mille autres couvertes de laine.

« Ne t’afflige pas ainsi, ne t’épouvante pas de quitter ta mère. Ton époux n’a pas une terre où la moisson ne mûrisse, pas un sillon où l’avoine manque, pas un champ où le blé ne pousse. Au bord de chaque ruisseau, ton époux a un grenier plein de grains, des amas de semences en chaque endroit, une forêt où il cache son pain, une autre où le froment jaunit, de l’argent en quantité.

« Ne t’afflige pas ainsi, ne t’épouvante pas de quitter ta mère. Ton époux a des coqs de bruyère qui voltigent autour de lui, des coucous dorés qui couvent dans ses bois, des grives qui viennent gaiement se poser sur les rênes de ses chevaux.

« Et maintenant écoute, ma douce enfant, ma jeune sœur que je vais quitter, mon chant d’amour, ma plante verte, écoute les paroles de la vieille femme. Tu t’en vas dans une autre demeure, tu vas trouver une autre mère. Il n’en est pas dans une maison étrangère, auprès d’une nouvelle mère, comme dans la maison paternelle, sous la garde de la nourrice. Ne sors pas légèrement le soir, au clair de la lune ; le mal qui se fait, on le sait dans la maison. Le mal qui se fait, le mari le sait.

« Il faut que tu prennes garde aussi soigneusement aux rudes discours du