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REVUE MUSICALE.

qui valut au musicien, outre leur gracieuse dévotion, le titre de maître de chapelle de l’empereur, titre glorieux en musique, car il fut porté par Mozart. Je n’oserais même affirmer que M. Donizetti ne soit pas le premier qui l’ait reçu depuis l’immortel auteur de Don Juan.

La saison ne date guère que de deux mois, et déjà la plupart des chefs-d’œuvre ont été passés en revue aux Italiens. Le public, qui n’assiste jamais sans une certaine inquiétude à l’épreuve si redoutable des rentrées, a tout droit maintenant d’être parfaitement rassuré. La troupe principale, celle qui se compose de Lablache, de Tamburini, de M. de Candia, de la Persiani et de la Grisi, conserve ses avantages premiers. Soprani, ténors et basses, ces nobles voix d’or et d’airain n’ont pas fléchi d’une note et semblent promettre de se maintenir plus d’une année encore ; en outre, de nouveaux sujets sont venus s’adjoindre au noyau militant : Corelli, Mlle Nissen, Mme Pauline Viardot et Mlle Brambilla. Jamais luxe pareil ne s’était vu aux Italiens dans le personnel secondaire. On se demande même si l’administration, en déployant ce magnifique zèle qui doit lui coûter cher, a bien compris ses intérêts, et si tant de monde était nécessaire. En effet, dans certaines parties, il y a double emploi. Que servait, par exemple, d’engager Mme Viardot lorsqu’on avait Mlle Brambilla ? Les rôles de contralto n’abondent pas tellement, par le temps qui court, qu’une seule cantatrice ne puisse suffire au répertoire, et la question de service une fois mise de côté, on ne s’explique guère de quelle utilité seront pour le théâtre deux virtuoses d’une valeur à peu près égale, et dont le nom, quoi qu’on fasse, n’aura jamais sur l’affiche du jour qu’une assez médiocre importance. Cette année, comme par le passé, la Grisi et la Persiani occupent toute l’attention, tous les bravos, tout l’enthousiasme du dilettantisme. La Sonnambula et Lucia nous ont montré la Persiani telle que nous la connaissions, cantatrice merveilleuse secouant les trilles et les gammes chromatiques avec la prodigue insouciance d’une fée qui sèmerait des perles. Pas un son ne manque à cette voix flexible, pas une note à ce mécanisme si subtil et si fin. Linda de Chamouny et la Rosina du Barbier sont pour elle de nouveaux titres dont le public des Bouffes se souviendra. Quant à la Grisi, qu’on aille l’entendre dans la Semiramide ou la Norma, et qu’on dise si ce n’est pas toujours la même voix splendide et fière, la même passion tragique, la même beauté. La Grisi entre aujourd’hui dans la maturité, dans la plénitude de son talent ; celle-là du moins, on peut l’admirer en toute confiance, sans craindre qu’un souffle la brise et la renverse de son piédestal. Et j’avoue que, par ce temps de précoces génies et de prodiges qui avortent, on aime ce spectacle d’un talent qui dure, qui tient dans la seconde période, tout ce qu’il avait promis aux débuts, et cette persistance, loin de fatiguer vos sympathies, les ranime. Il y a des organisations qui, non contentes de résister, s’épanouissent et se relèvent où les autres succombent. Je citerai de ce nombre la Pasta et la Devrient, tempéramens de fer, natures énergiques et mâles qui n’ont guère atteint leur apogée qu’à une époque où les complexions ordinaires abdiquent. Giulia Grisi fera