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REVUE MUSICALE.

tournant sur ses talons, a quelque chose de puéril qui tranche singulièrement avec la gravité classique de la situation. Ce sont là des enfantillages qui peuvent paraître fort beaux en certains comités littéraires, mais qui, devant le public des Bouffes, n’ont pas cours. Que Mlle Pauline Viardot n’interroge-t-elle les grands modèles qui posent devant ses yeux sur la scène italienne ? Certes, les conseils d’une tragédienne comme la Grisi ou de Lablache, le plus grand comédien de notre temps, vaudraient mieux pour elle que toutes ces inspirations plus ou moins psychologiques puisées dans les romans du jour, et qui finiraient par devenir aussi insaisissables que le sont au piano les vaporeuses nuances du jeu microscopique de M. Chopin.

Depuis la Reine de Chypre, c’est-à-dire depuis tantôt un an, l’Opéra ne s’est guère mis en frais de nouveautés, et, du train dont vont les choses, l’administration doit en prendre à son aise. De loin en loin seulement, quelque partition inoffensive, en un ou deux actes, apparaît sans qu’on s’en informe : cela s’appelle le Guerillero ou le Vaisseau Fantôme, et donne pour prétexte à son existence rachitique la nécessité où l’on est d’avoir sous la main ce qu’on appelle en style de coulisses des levers de rideau, en d’autres ternes, des opéras à mettre devant le ballet en vogue, et que d’ordinaire les sujets du troisième ordre exécutent au bruit des portes qui se ferment et des banquettes qui retombent. Glorieuse destination ! que, du reste, les derniers chefs-d’œuvre représentés à l’Académie royale de Musique remplissent à souhait. Parlerons-nous maintenant du Vaisseau Fantôme ? À l’Opéra comme dans la ballade, les morts vont vite, et, pour être à temps encore, hâtons-nous. On se souvient du Dieu et la Bayadère, cette si charmante et si mélodieuse fantaisie de MM. Scribe et Auber s’inspirant du motif d’un grand maître ; les auteurs du Vaisseau Fantôme ont jugé à propos de remettre en scène la même idée. Comme Brahma déchu de sa splendeur, et qui ne peut remonter au ciel qu’après avoir trouvé ici-bas une femme capable de l’aimer jusqu’à la mort, le Troïl de M. Paul Foucher, espèce de maudit des eaux, erre sur l’Océan et navigue à la recherche d’un ange féminin, qu’il rencontre cependant après une sombre et fatale odyssée. Et pour que rien ne manque à l’identité des deux pièces, la même gloire mythologique qui servait jadis à l’ascension de Zoloé, emmène cette fois Minna et le noir capitaine, qui disparaissent bientôt dans les nuages aux sons harmonieux du trombone et de l’ophicléide. Si absurde que soit cette fable, il semble que le musicien en aurait pu tirer quelque parti en cherchant dans le caractère même de l’ouvrage de ces effets de contraste qui tentent d’ordinaire les cerveaux les moins exaltés. Loin de là : il s’en est strictement tenu au style, à la lettre de M. Paul Foucher, et cet opéra, qu’on prendrait, sur le titre, pour une divagation romantique à la manière d’Hoffmann ou de Weber, n’est, en fin de compte, qu’une monotone psalmodie que nulle étincelle ne réchauffe. Un homme d’un sens parfait et d’une érudition rare, M. Delécluze, citait dernièrement une promulgation de Rome par laquelle on interdisait toute introduction de