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France, et une faveur toujours croissante s’attache aux œuvres de l’éminent historien, qui le premier chez nous a su concilier et faire marcher de front la saine et vive critique, l’érudition positive et l’art accompli de l’écrivain. Cet art, dans le dernier travail de M. Thierry, les Récits des temps mérovingiens, s’est élevé à une perfection nouvelle. L’auteur, on le sait, y développe avec une puissance toujours soutenue, dans le double cadre qu’il s’est tracé, d’une part la pénétration de son grand esprit critique, de l’autre les merveilleuses ressources de son talent de narrateur. Les Considérations sur l’histoire de France complètent, pour les écrivains dogmatiques, l’analyse et l’appréciation commencées, il y a douze ans, dans les Lettres, sur les travaux d’histoire narrative. En dégageant dans chaque système ce qu’il y a de faux et d’exagéré, avec une inflexible vigueur de logique et d’érudition, en jugeant avec la plus sévère impartialité, du XVIe siècle à notre temps, les hommes qui ont eu la prétention de donner la philosophie et le sens intime des évènemens et des institutions du passé, M. Thierry a tracé l’histoire des variations de l’esprit historique en France, et fixé d’une manière définitive les vérités acquises à la science par ce travail de trois siècles, et la limite où commence l’erreur. Le chapitre cinquième, l’un des morceaux les plus importans qu’ait écrits M. Thierry, présente une vue analytique des grandes révolutions du moyen-âge, et, comme le dit l’auteur, c’est un dernier tribut de réflexions et de recherches apporté aux questions fondamentales de notre histoire, la question des conséquences sociales de l’établissement des Franks dans les Gaules et celle de l’origine des grandes municipalités au moyen-âge.

Les Récits, épisodes détachés dont l’ensemble forme un grand poème, présentent une vue générale de la Gaule au vie siècle. On retrouve là ce sentiment profond de la vie barbare, cette sympathie vive pour les hommes d’autrefois et leurs douleurs, qui donnent à l’histoire toute l’émotion du drame. Les Récits ont été accueillis avec l’intérêt et l’empressement de curiosité sérieuse que le nom de M. Thierry éveille toujours dans le public, et la seconde édition de cet important ouvrage vient de paraître. D’après le succès de la première édition, si vite épuisée, on pourrait croire que l’auteur s’est borné à une reproduction exacte du premier travail ; mais, toujours difficile à satisfaire lorsqu’il s’agit de lui-même, M. Thierry a soumis son œuvre à la révision la plus scrupuleuse ; il a développé le quatrième chapitre des Considérations, consacré à l’appréciation du mouvement des études historiques au XIXe siècle, et constaté avec plus d’étendue l’influence que l’état de la société et le spectacle des évènemens politiques ont exercée sur le travail intérieur de la science. On avait contesté l’exactitude rigoureuse de certains détails : M. Thierry a répondu à cette critique en citant les textes qui ont servi de base à ses Récits ; en un mot, il a appliqué, au fond comme à la forme, ce procédé de correction sévère qui fait seul la valeur durable des travaux d’érudition et des œuvres d’art.


V. de Mars.