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L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

repas pour aller faire des vers : il ne mangeait pas, ne buvait pas, et poussait l’enthousiasme jusqu’à chanter des strophes des chœurs de Sophocle et d’Euripide, quoiqu’il ne comprît pas le grec[1] ; Lastidien et Rustique, cousins de saint Augustin ; Adeodat, son fils, et sainte Monique enfin, sa mère, ou plutôt son bon génie, qui ne désespéra jamais de le voir converti à la foi chrétienne, depuis le jour où, conjurant un saint évêque de réprimander son fils, livré alors aux erreurs des manichéens : « Continuez, dit l’évêque, de prier Dieu pour lui, car il est impossible qu’un fils pleuré avec tant de larmes périsse jamais ; » tant l’évêque croyait à l’efficacité des larmes d’une mère !

Saint Augustin, dans sa retraite de Cassiaque (c’était le nom de cette maison), avait aussi quelques livres. Il menait là, avec ses amis et ses disciples, cette vie en commun dont il avait depuis si long-temps le projet : le matin, occupé des soins qu’entraînait la surveillance du domaine, ou par la correspondance, ce fardeau des sociétés civilisées[2] ; mais le soir, quand le ciel était beau et que sa sérénité invitait à la promenade, on sortait, on allait s’asseoir sous l’arbre accoutumé, au milieu des prés, et alors l’entretien commençait, entretiens graves et sérieux sur la philosophie ancienne et sur son impuissance à satisfaire aux doutes de l’esprit humain[3], sur le bonheur[4], sur l’ordre et sur son principe[5], entretiens charmans, pleins du calme et de la fermeté d’esprit que donnait à saint Augustin la foi chrétienne qu’il venait d’embrasser, pleins aussi du calme des champs et de la sérénité du ciel. « Nous sortîmes, dit saint Augustin ; le jour était si doux et si pur, qu’il semblait fait en vérité pour épurer et éclairer nos ames. » Ainsi, tout s’accordait pour enchanter saint Augustin, l’enthousiasme de sa foi nouvelle, la beauté des lieux, la douceur de ces journées passées à s’entretenir avec ses amis et ses disciples, ces repas frugaux, presque plus tôt finis que commencés afin de reprendre l’entretien ; ces promenades que l’hiver même n’interrompit pas, grâce à la douceur du climat ; ces bains où, comme partout chez les anciens, il y avait des portiques pour servir à la

  1. « Licentius admirabiliter poeticæ deditus. » (De Ord., p. 533.) « Excogitandis versibus inhiantem, nam demedio pene prandio clam surrexerat, nihilque biberat… In illis græcis tragædiis verba, quæ non intelligis, cantes. » (Acad., p. 463.)
  2. « Vix tamen domesticis negotiis evoluti sumus….. Magnam ejus partem diei in epistolarum maxime scriptione compsumpseramus. » (Acad., p. 454.)
  3. Contra Acad.
  4. De Beata vita.
  5. De Ord.