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L’AFRIQUE SOUS SAINT AUGUSTIN.

« Oui, c’est Apollon, c’est lui qui nous conduira, si nous savons le suivre ; c’est lui qui nous servira d’auspice, c’est lui qui inspirera nos ames : non pas cet Apollon caché dans les antres des montagnes ou des forêts, et qui, excité par la fumée de l’encens et l’égorgement des victimes, parle par la bouche des insensés ; non, un autre Apollon, croyez-moi, l’Apollon vraiment grand et vraiment saint, ou plutôt la vérité elle-même, la vérité dont les interprètes sont tous ceux qui aiment et suivent la sagesse[1]. » Les lettrés demi-païens de l’Italie au XVe siècle ne sont pas plus imbus que saint Augustin à Cassiaque du parfum de l’antiquité latine.

Il n’y avait qu’une chose qui attristait saint Augustin à Cassiaque, c’était l’hésitation de Licent à embrasser la foi chrétienne. Dix ans plus tard, cette hésitation durait encore. Ni païen, ni chrétien, ni philosophe, las de son incrédulité, et incapable d’arriver à la foi, Licent représente les incertains de son siècle. Seulement il n’est pas parmi les incertains inquiets et agités ; il écrit, il est vrai, à saint Augustin pour lui demander ce qu’il faut croire : « Ordonne, dit-il, j’obéirai[2] ; » mais il lui écrit en vers, et je me défie toujours quelque peu de ceux qui mettent en vers leurs chagrins ou leurs inquiétudes. Je remarque même que, dans cette épître de Licent, l’anxiété religieuse tient beaucoup moins de place que l’amitié qu’il sent pour saint Augustin. C’est cette amitié qui lui inspire ses plus beaux vers et les mieux sentis[3], tandis que son incertitude religieuse, quoiqu’elle fasse sa douleur, dit-il, ne lui inspire qu’une allégorie[4].

  1. De Ord., p. 536.
  2. Hoc opus, ut jubeas tantum. (Lettr., t. II, p. 58.)
  3. Nos iter immensum disterminat et plaga ponti
    Interfusa coercet ; amor contemnit utrumque,
    Gaudia qui spernens ocutorum, semper amico,
    Absenti fruitur ; quoniam de corde profundo
    Pendet et internæ rimatur pabula fibræ.
    (Lettr., p. 60.)

  4. Crede meis, o docte, malis veroque dolori,
    Quod sine te nullos promiltunt carbasa portus,
    Erramusque procul turbata per æquora vitæ,
    Præcipites densa veluti caligine nautæ,
    Quos furor australis, stridens et flatus ab euro
    Percutit et raptis privavit turbo magistris.

    Suivent encore trois vers de description de tempête :

    Sic me ventus agit volvuntque cupidinis æstus
    In mare lethiferum.
    (P. 59.)

    Par la pensée et par l’expression, à la fois abstraite et métaphorique, ces vers de Licent ressemblent à beaucoup de vers de nos jours.